Afin de protéger ses collections, le musée de la musique de la Philharmonie de Paris a décidé d’expérimenter l’impression 3D pour reproduire à l’identique certains de ses instruments. Sa tentative sur une flûte traversière du 18e siècle semble déjà être un succès.
Un instrument fabriqué 30 fois plus vite par la machine que par l’artisan
Les nouvelles technologies au chevet du patrimoine. Le musée de la musique de la Philharmonie de Paris s’est lancé dans la reproduction d’instruments d’époque, en faisant appel à l’impression 3D. L’objectif affiché est de préserver de l’usure du temps les instruments « clonés » grâce à des fac-similés en plastique. C’est dans le laboratoire de l’institution, installée depuis 1997 dans le quartier de la Villette (Paris), que s’est déroulée l’expérimentation, menée sous l’impulsion de Mina Jang, chercheuse en musique baroque.
Pour ce projet, cette flûtiste professionnelle a jeté son dévolu sur une flûte traversière du début du 18e siècle, fabriquée par Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763), célèbre fabricant d’instruments de musique. Parce qu’elle avait déjà fait l’objet d’une reproduction artisanale en 2001, la chercheuse a été en mesure de comparer les performances de l’instrument imprimé avec celles de la copie en bois.
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« Durant ma soutenance, j’ai joué les deux flûtes derrière un paravent. Le jury était étonné et n’avait pas trouvé de différences », explique la Coréenne de 35 ans qui a fait un master en musique, interprétation et patrimoine à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Avant l’impression, une topographie par rayon X a été effectuée grâce au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France pour identifier les propriétés de la flûte. « L’idée du départ était de savoir comment obtenir une copie d’un instrument rapidement tout en respectant la flûte originale », explique Mina Jang. L’impression demande 24 heures. Un artisan mettrait lui au moins un mois. Autre avantage : la technique 3D est beaucoup moins chère. Comptez quelques centaines d’euros pour la technique en 3D contre plusieurs milliers chez un artisan.
Jouer des instruments d’époque : un péril pour le patrimoine
Toutefois, la démarche est purement patrimoniale, tient à préciser Stéphane Vaiedelich, responsable du laboratoire du musée qui a collaboré aussi avec la Fondation des sciences pour le patrimoine et l’Institut Jean-Le-Rond-d’Alembert à la Sorbonne. « L’impression 3D, ce n’est pas pour supplanter les fabricants d’instruments », assure-t-il. « L’idée est de reconstituer un instrument historique à l’identique, d’en faire apprécier le son auprès du public, et de faire revivre tout un patrimoine d’instruments ». Si la technique est connue, « à ma connaissance, aucun autre musée n’a mené une expérience à un niveau scientifique » selon le responsable, qui ajoute qu’une deuxième flûte a aussi été clonée.
Et s’il y a des cas uniques d’ensembles musicaux jouant des instruments d’époque, comme Les Siècles, fondée par le chef d’orchestre français François Xavier Roth, ce jeu est généralement périlleux pour ce patrimoine, car les instruments à vent supportent mal l’humidité. Mais une flûte en bois de buis sonne-t-elle vraiment comme une flûte en plastique ? « Les auditeurs peuvent s’y méprendre. Quant à la perception sur les lèvres, il se peut qu’il y ait de très légères différences ».
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Le plastique ne peut se comparer au bois
La flûte traversière a été le premier exemple car le plus évident : « l’essentiel du souffle du musiciens passe à l’extérieur de l’instrument, contrairement au haubois. Le matériau a donc une influence moins importante sur le timbre, selon M. Vaiedelich. Nécessairement, la question environnementale s’impose, en raison du plastique. « Dans l’idéal, il faudra imprimer avec des matériaux de récupération ». Selon Fanny Reyre Ménard, vice-présidente de la Chambre syndicale de facture instrumentale, le seul bémol est justement le matériau utilisé. « Pour les artisans, le plastique ne peut pas se comparer au bois.
Pour le violon, c’est la caisse de résonance en bois qui va donner sa caractéristique sonore, c’est fondamental », précise-t-elle à l’AFP. Mais l’imprimante 3D est en revanche « une formidable opportunité », dit-elle. « Ce n’est pas un danger mais un très bon outil de partage d’informations et de prototypes entre artisans », comme par exemple la personnalisation d’instruments selon les besoins du musicien. « Certaines parties gagnent à être adaptés comme les mentonnières des violons ou les embouchures des instruments à vent », précise Mme Ménard. « Et si je trouve une forme qui m’intéresse, j’envoie un fichier à un collègue, il l’imprime, c’est super ».
Nicolas Gomont avec AFP