RADULOVIC Nemanja

(1985- ) Violoniste

Nemanja Radulovic est une véritable star du classique. Son large sourire et sa douceur lui apportent autant de fans que son violon. Un public large se presse à ses concerts, attiré par son look et par un mélange assumé entre répertoire classique et airs folkloriques. Le virtuose cultive sa double identité culturelle, forgée entre les Balkans et la France.

Nemanja Radulovic en 10 dates :

  • 1985 : Naissance à Nis (Serbie)
  • 1992 : Commence le violon
  • 1997 : Élu « Talent de l’année » par le Ministère de l’Éducation serbe
  • 1999 : Diplôme de la Faculté des Arts et de la Musique de Belgrade
    Quitte la Serbie en pleine guerre, et s’installe en France
  • 2000 : Entre au CNSM de Paris en cycle de perfectionnement
  • 2005 : Nomination aux Victoires de la musique
  • 2006 : Enregistre son 1er disque (Transart)
  • 2009 : Signe avec Universal
  • 2014 : Disque “Carnets de voyage”, dédié à sa mère
  • 2015 : Prix « ECHO » à Berlin.

C’est en Serbie, son pays natal, que Nemanja Radulovic débute le violon

Avec un père informaticien et une mère radiologue, Nemanja Radulovic ne semblait pas destiné à la musique de prime abord. Contrairement à nombre d’enfants prodiges qui démarrent l’instrument à 3 ou 4 ans, ce n’est qu’à 7 ans qu’il pose ses doigts sur un violon. Dans le portrait “Un retour à Belgrade“ filmé par Stéphanie Argerich (la fille de Martha Argerich et Stephen Kovacevich), il raconte que ses parents l’ont emmené à l’école de musique parce qu’il chantait tout le temps ; les professeurs, voyant que l’enfant avait l’oreille absolue, l’ont orienté vers le violon. La famille quitte alors la petite ville de Nis pour Belgrade, à 200km au nord. Nemanja devient l’élève de Dejan Mihailovic au Conservatoire. Sa mère assiste aux cours et l’encourage à s’exercer à la maison, mais sans pression. “Je n’ai jamais eu quelqu’un qui me disait : ‘Va travailler !’ Sinon, je n’aurais pas fait ça.” Il suit aussi l’académie que donne son professeur deux fois par an : deux semaines de cours quotidiens, et l’occasion d’apprivoiser la scène grâce aux concerts d’élèves organisés presque tous les jours au Théâtre de Belgrade. Des vidéos de cette époque montrent les progrès fulgurants de l’artiste en herbe.

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Il arrive en France à 14 ans, alors que la guerre fait imploser l’ex-Yougoslavie

Tout va très vite pour le jeune violoniste. En 1996, il remporte le Prix d’Octobre de la ville de Belgrade, et est élu « Talent de l’année » par le Ministère de l’Éducation serbe l’année suivante, avec l’obtention d’une bourse pour étudier en Allemagne. Il reçoit ainsi l’enseignement de Joshua Epstein à Sarrebruck, avant de revenir terminer sa scolarité à Belgrade avec Dejan Mihailovic. Entre temps, il s’est déjà distingué dans plusieurs concours internationaux (Kocian en 1996, Wieniawski en 1997, et Menuhin en 1998). En 1999, il entre au CNSM de Paris en cycle de perfectionnement, pour travailler avec Patrice Fontanarosa. Ses parents et ses deux sœurs, elles-mêmes violoncellistes amateures, le suivent dans la capitale française. Même si l’immigration leur permet de fuir les bombardements de Belgrade, s’adapter à un autre pays n’est pas facile. Mais le sacrifice vaut le coup : Nemanja arrive en demi-finale au Concours Long-Thibaud, à 14 ans.

 

Il joue le Concerto de Beethoven Salle Pleyel pour remplacer Maxime Vengerov en 2006, sous la direction de Myung-Whun Chung

Nemanja continue à passer des concours et rafler les récompenses. Il décroche le 1er Prix Georges Enesco à Bucarest et le 1er Prix à Hanovre en 2003. En 2005, il est nommé “Révélation” aux Victoires de la musique – il remportera la catégorie “Soliste instrumental” quelques années plus tard en 2014 – et participe au programme mondial “Rising Star” de la saison 2006-2007.

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“Quand il est arrivé en France, il était très sage, avec des lunettes et des cheveux courts, se souvient Patrice Fontanarosa dans le documentaire de Stéphanie Argerich. A la sortie du Conservatoire, il a commencé à avoir du succès et il s’est transformé. Il a explosé, au plan de la personnalité.” Son ancien élève, lui, confie en 2016 à Libération que “ce pédagogue incroyable essayait vraiment de faire trouver [leur] personnalité [à ses étudiants]. Y compris pour la technique : chacun l’adaptait en fonction de ses aptitudes physiques.” La liberté d’interprétation, Nemanja Radulovic l’avait déjà à Belgrade avec Dejan Mihailovic. “Élève de David Oistrakh, il était un héritier de l’école russe et il avait un côté très intellectuel. Mais il avait une telle ouverture d’esprit que tous ses élèves sont devenus très différents les uns des autres. Il nous aidait et nous accompagnait dans notre propre créativité, il n’essayait pas de nous imposer quoi que ce soit.” De fait, lorsqu’on entend le vieux maître serbe expliquer sa conception du concert, on comprend mieux pourquoi Nemanja Radulovic s’autorise à toujours suivre sa propre voie, quel que soit l’avis de la critique. “J’encourage la créativité, car je considère le fait de jouer en public comme un acte de création, un transfert d’impressions artistiques de très haut niveau. Il ne s’agit pas de livrer un produit mais de créer en temps réel”, assure Dejan Mihailovic.

 

Nemanja Radulovic doit sa fougue à l’héritage culturel des Balkans

“La virtuosité n’est là que pour servir la musique, elle n’est pas une fin en soi… C’est surtout les nuances et les contrastes qui sont importants pour moi”, confie Nemanja Radulovic au micro de France Info en 2014. Il reconnaît que son pays d’origine a forgé une partie de sa personnalité musicale. “Là-bas, les contrastes sont très présents et les émotions extrêmes cohabitent. Et la danse, la fête surgissent malgré tous les problèmes dont on a conscience. Tout ça apparaît dans la musique”.

« Pašona kolo », en session d’enregistrement en 2014 pour Deutsche Grammophon
 

La fougue du violoniste, qui électrise tant le public, apparaît autant comme un héritage culturel que comme un furieux appétit de vivre. Un pied de nez à la guerre et à ses conséquences dramatiques. Car sa mère et sa sœur sont mortes en l’espace d’un an, d’un cancer dû en partie à la période des bombardements. Alors lorsque le violoniste sort “Carnets de voyage”, un album rassemblant des airs traditionnels et des chansons folkloriques des Balkans, il le dédie naturellement à sa mère. Il y est accompagné par Les Trilles du Diable, un ensemble de chambre qu’il a créé en 2004 avec Guillaume Fontanarosa, le fils de son ancien professeur. “Je viens d’un pays qui a une culture très riche et variée, avec des influences orientales comme austro-hongroises, dans une région entre l’Ouest et la Russie. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai encore été obligé de créer, d’explorer des connexions,” raconte-t-il au webzine Bachtrack en 2018. Naturalisé français, Nemanja Radulovic a voulu concilier ses deux patries géographiques dans un autre ensemble de chambre, Double Sens, constitué de musiciens français et d’autres issus de l’ex-Yougoslavie.

 

Un violoniste classique, mais ouvert à d’autres styles de musique.

“Je crois qu’avec les années le mur entre l’artiste et le public se brise. C’est une bonne chose, car il faut qu’on soit proche des gens si on veut qu’ils nous écoutent et avoir un public demain.” Sur Facebook, l’artiste comptabilise plus de 109 000 abonnés. “Cela me permet de rester en contact avec le jeune public. C’est important de leur transmettre notre passion, de parler d’action culturelle, de littérature, de musique.” De fait, Nemanja Radulovic semble jeter un pont entre les compositeurs du passé – comme Bach, Tchaïkovsky ou Ysaÿe – et un public pas toujours fin connaisseur du classique, mais qui se presse en masse à ses concerts, comme au festival « Un violon sur le sable » en Charente-Maritime. Ses transcriptions font hurler les puristes – Shéhérazade de Rimsky-Korsakov réduit à la portion congrue par son acolyte Aleksandar Sedlar – mais elles séduisent en revanche cette autre partie du public, tout comme les airs folkloriques joués à la vitesse de l’éclair. “Il est très important de ne pas avoir un seul public, mais de s’ouvrir à plusieurs. Pas forcément en faisant des crossovers, mais en présentant la musique classique de manière plus souple et plus ouverte. Par ailleurs, la société d’aujourd’hui est très immédiate, elle demande des tempi plus rapides”, constate-t-il encore dans les colonnes de Libération. Si ses interprétations séduisent une audience plus large, c’est peut-être parce que lui-même écoute d’autres styles de musique. “J’aime l’énergie du rock. Cela me porte. Il y a une folie, un échange. Avec Double Sens, on essaie de retrouver cette énergie. […] Le 24ème Caprice de Paganini en heavy metal, cela respecte l’énergie tout en étant autre chose.” Ses goûts se reflètent dans son look, qui a d’abord surpris le milieu musical avant de ravir toute une nouvelle génération de mélomanes. Pantalon de cuir, bottines (dé)lacées, et cheveux (très) longs. “Le look ne veut pas dire grand-chose. C’est juste la manière dont j’aime m’habiller. Il est important de rester dans son époque. Et si cela peut rapprocher certains de la musique classique, pourquoi pas”, assène-t-il en souriant à Elise Lucet en 2011, au Journal de 13h sur France 2.

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Enfant, Nemanja Radulovic disait : “A travers la musique, j’exprime mes émotions, mes pensées et ma vie. Le violon est l’instrument qui me permet d’exprimer tout ça”. Aujourd’hui rien n’a changé. La vocation est toujours là. Intacte. “Chaque soir, quand je me couche, je me dis que je suis heureux. Pas de ma carrière, mais de ce que j’ai pu vivre jusque-là avec le violon. Heureux de pouvoir raconter des choses en musique que je suis incapable de raconter avec des mots.”

 

Sixtine de Gournay

 

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