Révélé grâce au coup d’éclat de Martha Argerich au Concours Chopin de Varsovie, Ivo Pogorelich est un pianiste de génie. Loin de se contenter de briller, il ne cesse de se remettre en question avec un dévouement royal.
Ivo Pogorelich en 5 dates :
- 1958 : naissance à Belgrade
- 1976 : rencontre avec Aliza Keredaze
- 1980 : son éviction au Concours Chopin fait scandale
- 1981 : débuts à Carnegie Hall
- 2013 : renaissance sur scène
Né à Belgrade, Ivo Pogorelich fait ses études au Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou
Fils d’un contrebassiste, Ivo Pogorelich naît à Belgrade en Serbie (Yougoslavie à l’époque) le 20 octobre 1958 sous le signe de la Balance. À 7 ans, il commence le piano. À 12 ans, il étudie au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. En 1976, il se perfectionne avec le grand professeur géorgien Aliza Keredaze, ce qui le place « à cinq rangs de Beethoven » puisqu’elle a été l’élève de Siloti qui le fut de Liszt, qui le fut de Czerny, qui le fut de Beethoven. En 1978, il remporte le Concours de Terni en Italie puis le Concours de Montréal. En 1980, il se marie avec Aliza qui a vingt ans de plus que lui. Leur relation musicale et amoureuse durera jusqu’à sa mort en 1996.
Qui n’a jamais vu le jeune Ivo Pogorelich, chemise blanche et pantalon de cuir, jouer Chopin tel un ange revenu des Enfers, n’a rien vu.
En 1980, sa « défaite victorieuse » au Concours Chopin de Varsovie lance sa carrière. Alors qu’il est recalé avant la finale, Martha Argerich quitte le jury. On oubliera bien vite le vainqueur vietnamien Dang Thai Son, c’est le Yougoslave que le monde entier réclame. Chacun de ses concerts divise le public. Certains hurlent au génie, d’autres le vouent aux gémonies. Il fait ses débuts à Carnegie Hall et sort un premier disque consacré à Chopin chez Deutsche Grammophon. Herbert von Karajan refuse de jouer le Concerto n° 1 de Tchaïkovski avec lui en raison de tempos trop personnels.
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De disque en disque, Pogorelich affirme son tempérament d’artiste libre. Sa virtuosité est l’une des plus extraordinaires qui soient. Elle évoque la pâte d’un Horowitz, autre sorcier du piano. Pogorelich rappelle à ses détracteurs que le mot « virtuosité est de la même racine que « vertu » et que l’esthétique au piano est une dépendance de la force morale. De grands enregistrements comme Gaspard de la nuit de Ravel, les Sonates de Scarlatti ou les Tableaux d’une exposition prouvent qu’on est en présence d’un vrai maître du clavier.
Ivo Pogorelich dans le Scherzo n°3 de Chopin
En 1996, sa femme Aliza Keredaze s’éteint à cause d’un cancer du foie. Veuf inconsolé, Pogorelich se retire peu à peu de la scène avant de renaître de ses cendres.
En 2013, Ivo Pogorelich retrouve le chemin de la scène. Il a revu toute sa technique et sa vision musicale est toujours aussi à part. Il continue de diviser et de fasciner le public. Ses tempos sont de plus en plus lents (Sonate op. 111 de Beethoven), ce qui est beaucoup plus périlleux pour l’architecture. Il parvient à renouveler notre approche de certaines œuvres que la tradition a confites dans une image figée. Pogorelich prend sans cesse des risques. Avant de jouer, il essaie le piano, en jeans et bonnet sur la tête, comme un accordeur, alors que le public entre dans la salle sans le reconnaître. Nulle trace de caprice ou d’esbroufe dans son art. Un sérieux, une détermination, un dévouement total au service d’une idée singulière et une volonté de transcender l’acte musical.
Olivier Bellamy