HASKIL Clara

(1895-1960) Pianiste

La vie de Clara Haskil fut un chemin de douleur, pourtant placé dès l’enfance sous les auspices des dieux de la musique. Son talent inné, qui lui permettait comme Mozart de rejouer sans faute une pièce entendue une seule fois, ne lui a pas hélas évité les malheurs et les tragédies. Les enregistrements (tardifs) de ses concerts sont le témoignage précieux de son art et de son courage face à l’adversité.

Clara Haskil en 10 dates :

  • 1895 : Naissance à Bucarest
  • 1905 : Arrivée à Paris
  • 1910 : Premier prix de piano au conservatoire de Paris
  • 1924 : Tournée en Amérique du Nord, triomphe à New York
  • 1935 : Rencontre à Paris avec Dinu Lipatti
  • 1942 : Réfugiée en Suisse
  • 1947 : Enregistrement du 4ème Concerto de Beethoven
  • 1950 : Mort de Dinu Lipatti
  • 1956 : Concert du Festival de Besançon
  • 1960 : Mort à Bruxelles

 

A 3 ans, Clara joue sur le piano de sa mère les airs qu’elle vient d’entendre.

Née à Bucarest dans une famille musicienne, Clara révèle très tôt ses dons exceptionnels et apprend le piano et le violon. Son père décède tragiquement après l’incendie de leur immeuble. Clara a alors 4 ans et sa mère doit travailler pour faire vivre ses trois filles. Accompagnée de son oncle médecin qui lui voue une totale admiration, elle part étudier le piano à Vienne et commence à jouer les concertos de Mozart.

Après 3 ans d’étude à Vienne, Clara arrive à Paris en 1905. Elle est admise au Conservatoire, non seulement dans la classe d’Alfred Cortot mais aussi en classe de violon. Elle excelle dans les deux instruments, mais choisit finalement le piano en raison d’une scoliose. A 15 ans, elle sort du Conservatoire de Paris, un Premier prix en poche. Elle commence des tournées. Busoni, qui vit à Berlin, lui propose de le rejoindre mais la mère de Clara refuse. La jeune pianiste le regrettera plus tard.

 

Sa santé fragile ne favorise pas sa carrière de concertiste.

Pour soigner sa scoliose, elle subit des traitements longs et pénibles qui l’isolent plusieurs années. Cela ne l’aide pas à construire sa carrière. Sa mère décède en 1917 et Clara se retrouve seule. Son talent est connu de Georges Enesco, qui l’encourage et lui organise des concerts en Suisse. Ce pays deviendra la planche de salut de Clara, qui y trouvera la reconnaissance que d’autres pays n’ont pas su lui témoigner. Elle obtiendra la nationalité suisse en 1949. Au milieu des années 20, elle part aux Etats-Unis pour une tournée. Le succès est au rendez-vous, mais Clara doit malheureusement rentrer plus tôt que prévu car elle ne peut faire face aux frais occasionnés.

 

Son amitié avec Dinu Lipatti dure pendant 15 ans, jusqu’à la mort prématurée du pianiste.

C’est dans le salon Polignac à Paris que Clara rencontre Dinu Lipatti pour la première fois en 1935. Il est roumain et étudie auprès de Nadia Boulanger, qui lui promet une belle carrière. A 18 ans, il n’est pas encore connu et Clara, qui en a 40, ne l’est pas autant qu’elle le mériterait. Ces deux pianistes vont s’entendre à merveille et jouer souvent ensemble à Paris jusqu’en 1939. La guerre va les séparer. Dinu repart alors à Bucarest, tandis que Clara doit se cacher pour éviter les rafles. Après deux années épouvantables, elle rejoint Marseille où l’accueille la mécène Lily Pastré. Mais elle doit subir une opération délicate sur le nerf optique. Elle parvient ensuite à se réfugier en Suisse, fin 1942. Dinu devient célèbre et, après avoir accepté de jouer dans les pays de l’Axe, finit par rejoindre Genève fin 1943 avec sa compagne Madeleine. Clara retrouve enfin Dinu et le goût de vivre. Son premier enregistrement commercial arrive en 1947 avec le Concerto n°4 de Beethoven. Mais la vedette c’est Dinu, et Clara reste dans son ombre, toujours modeste et insatisfaite de ses propres prestations, malgré les louanges qu’il lui adresse. Ce n’est qu’après la mort de Dinu, victime d’une leucémie, qu’elle est vraiment reconnue et recueille les fruits de sa persévérance.

 

La Sonate K.330 de Mozart (Clara Haskil)

 

Ses interprétations de Mozart, Beethoven ou Schubert enchantent le public.

C’est d’abord en Hollande que les récitals de Clara vont lui conférer la notoriété qui la fuyait jusqu’alors. L’histoire tout à coup s’accélère, et en quelques années elle devient une gloire du piano tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Elle joue les concertos de Mozart avec les plus grands chefs d’orchestre : Fricsay, Markevitch, Cluytens, Karajan et Munch.

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Sa rencontre avec le violoniste Arthur Grumiaux lui permet d’engager une série de concerts et d’enregistrements des sonates de Mozart et de Beethoven, qui restent longtemps de grandes références. En septembre 1956, le Festival de Besançon, qui l’a déjà accueillie 2 ans plus tôt pour un récital dédié à la mémoire de Lipatti, lui offre un accueil mémorable pour deux concerts. Elle y donne le Concerto n°19 de Mozart, puis le lendemain un récital dont l’enregistrement nous laisse un témoignage éblouissant. Son interprétation des Variations sur un thème de Duport de Mozart, de la Sonate n°18 de Beethoven et de la Sonate n°16 en la mineur de Schubert montre bien ses qualités de toucher et de legato, mais surtout sa profonde compréhension des textes.

 

Son décès intervient après une chute dans la gare de Bruxelles, en décembre 1960.

Le Théâtre des Champs Elysées l’acclame en ce 1er décembre 1960, la salle est pleine, on a même refusé du monde. Pourtant ce ne fut pas toujours le cas, Paris a mis du temps à reconnaître le talent de Clara. Son ami et collègue Arthur Grumiaux est présent et lui donne rendez-vous à Bruxelles dans quelques jours pour un concert en l’honneur du mariage du roi Baudouin. Ce sera hélas un rendez-vous tragique. En se rendant à une répétition, elle chute dans les escaliers de la Gare du Midi et décède quelques jours plus tard.

Après sa mort, Clara devient rapidement une icône malgré (ou à cause de) l’absence de vidéos de ses concerts. Dès 1963, la ville de Vevey (en Suisse, au bord du lac Léman) où elle vivait et côtoyait Chaplin – lequel lui vouait une grande admiration – crée un concours international de piano qui porte son nom et demeure l’un des plus réputés et des plus difficiles. Son biographe Jérôme Spycket disait qu’elle avait toujours le trac avant ses concerts mais qu’elle préférait tout de même jouer en public plutôt qu’en studio. La personnalité complexe de Clara Haskil et sa vie douloureuse ont inspiré auteur de théâtre et cinéaste, mais lui rendre hommage passe avant tout par l’écoute de ses enregistrements en public, une présence indéfinissable. La postérité a finalement rendu justice à Clara Haskil et sa place est aujourd’hui au panthéon des pianistes.

 

Philippe Hussenot

 

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