Les Suites pour orchestre de Bach : la musique de cour érigée au rang des Beaux-Arts

« Nature morte avec instruments de musique » de Pieter Claesz

En écrivant ses quatre Suites (ou Ouvertures) pour orchestre, Bach a su doter d’une puissance symphonique nouvelle un genre d’œuvres principalement vouées à accompagner les cérémonies officielles de cour.

Composées à Köthen, les quatre Suites pour orchestre répondent au style de la musique de cour

Mues par le même désir mimétique, toutes les cours européennes (grandes et petites) avaient pour idéal, entre la seconde moitié du XVIIe et la première moitié du XVIIIe siècle, de ressembler à Versailles. Celle de Köthen, au service de laquelle Bach fut employé entre 1717 et 1723, ne fit pas exception à la règle. C’est pour elle, et dans un tel climat, qu’il composa ses Suites destinées à être jouées lors de cérémonies de cour, comme des banquets ou des danses, bien qu’elles aient été aussi utilisées à l’occasion de simples concerts. Il s’agissait donc de pièces relevant de la Hofmusik (musique de cour) dans son acception la plus stricte. En l’absence de source autographe, à l’exception de quelques parties séparées, on ne peut les dater avec précision. La première de ces Suites, écrite en ut majeur (BWV 1066), semble cependant avoir été composée au début du séjour de Bach à Köthen, tandis que la deuxième (en si mineur, BWV 1067), et la troisième (en ré majeur, BWV 1068), paraissent l’avoir été à la fin du séjour. On croit savoir en revanche que la quatrième (ré majeur, BWV 1069), a été rédigée à Leipzig, entre 1727 et 1736, son effectif instrumental étant supérieur à celui dont Bach disposait à Köthen.

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Les danses « donne lieu à un fulgurant déploiement de raffinement de rythmes et de timbres »

Les quatre ouvrages furent appelés par Bach non pas « Suites » mais « Ouvertures » : une dénomination ne valant à proprement parler que pour les premiers mouvements, étendue à la « suite » en son entier. Ce type d’ouverture « à la française », divisé en trois volets contrastés, vient de Lully, qui l’utilisait comme introduction à ses tragédies lyriques. Un « allegro » central, en style fugué, y est ceinturé par deux sections lentes et majestueuses « où domine généralement le rythme croche pointée – double croche » (Roland de Candé).

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C’est ce schéma que Bach a étendu considérablement tant par la durée (puisque ces ouvertures valent, chacune, le tiers environ d’une suite complète), que par leur orchestration (puisqu’elles deviennent de vastes mouvements symphoniques), celle-ci particulièrement étoffée dans les Suites n° 3 et 4. Cet intitulé générique d’ouverture s’explique aussi par le fait que ces suites de danses ne respectent pas le plan traditionnel (allemande, courante, sarabande et gigue). En effet, si « les sections lentes des quatre ouvertures ne sont (…), en toute rigueur, rien de moins que des allemandes stylisées » (Nikolaus Harnoncourt), chaque suite ne contient, tout au plus, qu’une seule des quatre danses obligées. Il n’empêche que la série de ces danses, quel qu’en soit le type, « donne lieu à un fulgurant déploiement de raffinement de rythmes et de timbres » (Alberto Basso).

 

« Badinerie » de la Suite n° 2 (Amsterdam Baroque Orchestra, dir. Ton Koopman)

 

L’influence du goût français, plus prégnant que dans les suites pour instrument seul, se caractérise par l’accent mis sur les « galanteries »

L’influence du goût français, plus prégnant que dans les suites pour instrument seul (violon et violoncelle), se caractérise par l’accent mis sur les « galanteries » (danses plus légères d’origine française telles la gavotte, le menuet, la bourrée, etc.). Mais la présence d’une polonaise (Suite n° 2) incite à penser que Bach cultiva, à sa manière, « les goûts réunis » chers à Couperin. L’instrumentation varie beaucoup d’une composition à l’autre, et montre l’importance du Collegium Musicum dont Bach assuma la direction à partir de 1729. L’orchestration de la première, particulièrement marquée par l’esprit français, se compose ainsi de sept instruments : deux hautbois, un basson, un quatuor à cordes et un continuo ; celle de la deuxième se compose de cinq instruments seulement, mais la flûte y intervient en soliste, faisant de cette suite un véritable concerto pour flûte traversière, cordes et continuo, que referme la pétillante et virtuose « Badinerie » ; la troisième suite utilise dix instruments : trois trompettes, deux hautbois, timbales et cordes, qui confèrent à sa monumentale ouverture une couleur très « Grand Siècle français », mais c’est à son deuxième mouvement, l’ineffable « Air » (appelé à tous les arrangements possibles et imaginables), qu’elle doit aujourd’hui la célébrité. Assez proche de la précédente quant à la sonorité, la dernière suite donne à entendre un orchestre encore plus développé, agrémenté par une notable partie de basson.

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A la mort de Bach, ces Suites sont tombées dans l’oubli le plus total et n’ont revu le jour que grâce au militantisme actif de Felix Mendelssohn, lequel dirigea notamment la Suite n° 3 en 1838 au Gewandhaus de Leipzig. Aussi bien c’est dans la ville de Saxe que, peu après, ces pièces connaîtront leur publication par l’éditeur Peters.

 

Jérémie Bigorie

 

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