Les Etudes pour piano de Chopin, quand des exercices deviennent un chef-d’oeuvre

Les 27 Etudes pour piano de Chopin visent chacune une ou plusieurs difficultés de l’instrument. Mais, à l’heure des pianistes virtuoses, la maîtrise de la technique n’est pourtant jamais le but du morceau pour Chopin. Elle n’est qu’un prétexte, ou plutôt un moyen, pour servir l’expression musicale.

Le corpus des Etudes se partage en deux cahiers, opus 10 et 25, auxquels il faut adjoindre 3 Nouvelles Etudes écrites pour une méthode de piano

Professeur réputé, Chopin donnait parfois ses propres œuvres à travailler à ses élèves. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il ait écrit de nombreuses Etudes pour le piano. Deux recueils comprennent 12 Etudes chacun. Une grande partie de l’opus 10 avait été composé avant que Chopin ne s’installe à Paris. Complété, cet ensemble fut publié en 1833, non seulement dans la capitale parisienne mais aussi à Leipzig et à Londres, ce qui montre la renommée du jeune compositeur. Il a 23 ans et se lance aussitôt dans l’écriture d’un second cahier, l’opus 25, terminé en 1836 et édité un an après dans les 3 mêmes villes. A cela, il faut encore ajouter les 3 Nouvelles Etudes, écrites en 1839 pour la Méthode des méthodes de piano de Fétis et Moscheles parue l’année suivante, et à laquelle contribuèrent également Liszt et Mendelssohn.

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Si chaque Etude traite d’une difficulté technique en particulier, l’interprète ne doit jamais oublier la musique

Les Etudes de Chopin font travailler des points précis de la technique du piano : travail du pouce sur les touches noires (op. 10 n°4), précision d’attaque dans les tièrces et les sixtes (op. 10 n°7), indépendance des mains (op. 25 n°2), staccato (op. 25 n°4) etc. L’opus 10 n°11, toute en accords arpégés, nécessite un soin constant porté à la sonorité. Tous les contemporains de Chopin lui reconnaissaient un beau son, d’une égalité parfaite. Son secret résidait notamment dans le choix des doigtés. « Autant de différents sons que de doigts; le tout, c’est de savoir bien doigter », disait Chopin. Et d’insister sur la morphologie de chacun, impliquant des doigtés différents d’un élève à l’autre afin de faciliter la souplesse de la main et du poignet. « Ayez le corps souple jusqu’au bout des pieds… » Pour Adélaïde de Place, le goût du compositeur polonais pour les tonalités « difficiles » (les 6 bémols de l’op. 10 n°5, ou les 5 dièses de l’op. 25 n°6) pourrait d’ailleurs s’expliquer par la position naturelle de la main qu’elles induisent.

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Mais les redoutables difficultés de ces Etudes – que Chopin ne mettait qu’entre les mains de ses élèves les plus avancés – ne doivent pas faire obstacle à la musique. C’est là sans doute le défi le plus grand lancé à l’interprète. Si l’Etude dite « Révolutionnaire » (op. 10 n°12) doit exprimer une tempête intérieure, la puissance qu’elle nécessite ne doit pas se confondre avec de la brutalité. Certaines Etudes requièrent une finesse digne des Nocturnes, comme l’op. 10 n°6 en mi bémol mineur. Alors que le XIXème siècle voyait s’affronter sur scène les pianistes européens, Chopin offrait une musique qui dépassait la pure virtuosité.

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Schumann se montra admiratif des Etudes op. 25, après les avoir entendues jouées par Chopin

En 1836, Chopin se rendit à Dresde pour retrouver la jeune fille dont il était amoureux et auquel il était alors fiancé : Marie Wodzinska. C’est sans doute à ce moment-là que Schumann – qui avait lui-même déjà écrit plusieurs recueils d’Etudes pour piano – l’entendit jouer ses Etudes op. 25. La première, un ondoiement vaporeux d’arpèges en la bémol majeur, lui laissait l’impression, une fois terminée, « d’avoir contemplé en rêve une image radieuse qu’à demi réveillé on voudrait rattraper encore ». Peut-être Liszt s’est-il souvenu de cette pièce en composant ses Jeux d’eau à la villa d’Este en 1877. Lui-même écrivit 12 Etudes d’exécution transcendante, aux titres évocateurs (« Feux follets », « Chasse sauvage ») renvoyant même parfois à un poème précis (« Mazeppa » tiré des Orientales de Hugo). Chopin, lui, n’a jamais fait référence à une œuvre littéraire, même si toute sa musique est poésie. Loin de n’être que des exercices, les Etudes de Chopin sont de véritables pierres précieuses : ternes si on ne joue que les notes à l’état brut, elles prennent tout leur éclat lorsque l’interprète prend le soin d’en ciseler les mille facettes.

 

Sixtine de Gournay

 

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