La Traviata de Verdi : une histoire d’amour sacrifiée sur l’autel des conventions sociales

La Traviata de Verdi est l’un des opéras les plus représentés. L’amour de la courtisane Violetta pour le jeune Alfredo émeut le public du monde entier. Mais, derrière les tubes et l’efficacité théâtrale de la musique, se cache un drame plus personnel. Celui de Verdi lui-même, qui doit se battre contre les conventions sociales de son époque pour imposer la femme qu’il aime.

La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas sert de trame à l’opéra de Verdi

Lorsqu’en 1852 Verdi lit La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, il décèle immédiatement le potentiel qu’il pourra en tirer. Le compositeur a déjà dix-huit opéras à son actif. Mais Nabucco ou Ernani traitaient de sujets historiques. Cette fois Verdi va s’inspirer des mœurs contemporaines. Il charge cependant son librettiste d’estomper la sensualité et le cynisme du personnage principal de Dumas. L’héroïne de La Traviata ne doit pas être le reflet du monde vicieux dans lequel elle vit, mais sa victime.

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La chanteuse Giuseppina Strepponi, alors la maîtresse de Verdi, est-elle le modèle de Violetta ?

Si Verdi veut absolument montrer une Violetta au cœur pur, c’est que le sujet de l’opéra entre en résonance avec sa vie privée. En 1839, il a rencontré Giuseppina Strepponi. La jeune cantatrice menait une vie sentimentale agitée car, à l’époque, on ne devient pas prima dona aussi vite sans l’aide d’un – ou plusieurs – protecteurs bien insérés dans le milieu musical. Mais au bout de quelques années sa voix s’est abîmée, et elle a quitté la scène en 1847. Seulement, lorsque Verdi compose La Traviata en 1852, leur situation est loin d’être régularisée – il ne l’épousera que sept ans plus tard – et les langues vont bon train. Agacé, Verdi écrit à l’un de ses proches : « Je n’ai rien à cacher. Chez moi vit une femme libre, […] ayant une fortune qui la met à l’abri du besoin. […] Et si c’était un mal, qui a le droit de nous jeter la pierre ? Et même je dirais que chez moi elle a droit à plus de respect qu’on ne m’en doit à moi-même […] à cause de son comportement, de sa dignité et des attentions particulières qu’elle a toujours eues pour les autres ». Le début du deuxième acte de La Traviata ne dit pas autre chose en montrant une Violetta rangée et heureuse auprès de son Alfredo, dans une maison à la campagne loin de son ancienne vie de courtisane.

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La Traviata fait preuve d’une dramaturgie efficace, marque de fabrique de Verdi

Mais là s’arrête la comparaison. Giuseppina restera aux côtés de Verdi pendant cinquante ans. A l’inverse, Violetta reprend sa vie de demi-mondaine et meurt très jeune de phtisie. L’histoire de cette traviata (« dévoyée » en italien) est rythmée par une dramaturgie efficace, aussi bien au plan musical que théâtral. Verdi rompt avec la structure de l’opéra « à numéro » de ses prédécesseurs (qui consistait en l’alternance entre récitatifs et airs, ponctués de quelques duos et chœurs d’ensemble). Il réduit considérablement l’usage des récitatifs et leur préfère l’arioso. Le discours musical, moins haché, y gagne en fluidité. Mais Verdi n’oublie pas pour autant d’insérer des airs de bravoure (« Sempre libera » à l’acte I) ou très mélodiques (« Addio del passato » à l’acte III), car il connaît le goût du public pour les airs à la fois virtuoses et reconnaissables. Le génie de Verdi pour les mélodies facilement mémorisables sert aussi parfois pour renforcer l’unité d’ensemble. Le « amore palpito » d’Alfredo revient ainsi plusieurs fois dans l’opéra, depuis sa déclaration au premier acte jusqu’à la lecture de la lettre au dernier. Le rythme de valse est également utilisé comme élément structurant. C’est le principe du leitmotiv, que Wagner développe considérablement à la même époque.


 L’air « Sempre libera », Acte I de La Traviata (Renée Fleming)

 

Moins romantique, La Rondine de Puccini propose une autre fin à l’histoire d’amour

En 1917, une autre traviata est représentée en Italie : La Rondine de Puccini. Cette fois on est loin du mythe romantique de la femme mourant d’amour et de maladie après s’être sacrifiée. Certes Magda s’éloigne un temps de sa vie de courtisane pour vivre un amour véritable. Mais elle s’en lasse. Les fêtes et le luxe lui manquent. Elle retourne finalement auprès de son protecteur. Magda existe en tant qu’individu, frivole certes, mais lucide. Violetta, elle, ne vit que par le regard des autres. Et lorsqu’elle cherche à exister à ses propres yeux, ce n’est qu’à travers son amour pour Alfredo. Magda renonce à l’amour. Violetta l’idéalise.

 

Sixtine de Gournay

 

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