Retraites : « Pour en discuter sérieusement, il faut voir la manière dont le changement climatique va modifier le travail » lance François Gemenne (Giec)

ISA HARSIN/SIPA

C’est un chiffre qui étonne, inquiète et suscite beaucoup de commentaires aux États-Unis. En 2022, 1% de la population a dû fuir son logement en raison d’une catastrophe climatique ou naturelle. François Gemenne, membre du Giec était l’invité de Renaud Blanc dans la matinale de Radio Classique, il s’alarme du manque de lucidité de la population face au réchauffement climatique.

 

François Gemenne : « les déplacements de population aux Etats-Unis ne sont pas toujours temporaires, comme on l’imagine »

Plus de 3 millions d’Américains ont dû quitter leur logement suite à des catastrophes naturelles ou climatiques l’an dernier. On n’imaginait pas un pays comme les Etats-Unis autant touché par ce phénomène ?

On le sait, depuis l’ouragan Katrina qui avait entraîné des centaines de milliers de personnes déplacées, les États-Unis sont régulièrement touchés par des catastrophes climatiques. Il peut s’agir d’ouragans, d’incendies ou d’épisodes de chaleur intense. Cela provoque des déplacements de population qui ne sont pas toujours temporaires, comme on l’imagine. Certains ne sont pas rentrés chez eux et ont redémarré leur vie ailleurs aux Etats-Unis.

Près de 2 millions d’Américains ont dû être déplacés à cause des tornades et des ouragans, 700.000 à cause des inondations, 600.000 en raison d’incendies. Et sur ces 3 millions de déplacés, plus de 500.000 n’ont pas retrouvé leur logement. Est-ce que cela veut dire que tous les pays aujourd’hui sont touchés et que dans quelques années, nous serons aussi touchés par des déplacements internes ?

Bien sûr. Il y a deux problèmes dans la manière dont on conceptualise cette question aujourd’hui dans le débat public. D’abord, on imagine que c’est un phénomène propre aux pays du Sud et que nous n’allons pas être touchés, ou uniquement par des gens qui viendraient de ces Etats vers l’Europe ou les pays industrialisés. En réalité, il va y avoir des déplacements également à l’intérieur d’un pays. Ce fut le cas en Belgique et en Allemagne y a 2 ans, avec les inondations par exemple. Des habitants vont décider que les conditions de vie dans leur lieu d’habitation ne sont plus tenables et vont préférer aller ailleurs, déménager hors des villes par exemple. L’autre problème, c’est qu’on voit toujours ce phénomène au futur, sans réaliser que c’est déjà une réalité. Vous avez rappelé les événements extrêmes aux Etats-Unis. On n’est pas du tout face à un risque futur et distant qu’on parviendra encore à réduire grâce à des baisses d’émissions de gaz à effet de serre. On est face à une réalité.

 

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D’ici 2050 dans le monde, ce sont plus de 200 millions de personnes qui pourraient migrer à l’intérieur de leur pays pour des raisons climatiques.

Pour le moment, l’essentiel des migrations liées au phénomène climatique ont lieu à l’intérieur des frontières du pays concerné, simplement parce que les gens ne cherchent pas forcément à quitter leur pays, mais à se mettre à l’abri. Cela étant posé, si certaines zones du monde deviennent demain inhabitables, on peut faire l’hypothèse que l’immigration internationale serait également en augmentation. On a déjà plusieurs études qui donnent à penser qu’effectivement, [les impacts du réchauffement climatique] pèsent aujourd’hui sur la demande d’asile. Quand on regarde les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile en France, certains sont très touchés par les événements climatiques comme le Pakistan ou le Bangladesh par exemple.

 

« Nous voyons les impacts du changement climatique comme on voyait le coronavirus quand il était encore confiné à Wuhan »

On n’a pas encore en tête qu’il faut s’adapter. L’adaptation, c’est le maître mot et on a encore du retard.

Regardez les réactions en France, il y a quelques semaines, lorsque le ministre de Transition écologique, Christophe Béchu, a dit qu’on allait désormais considérer un scénario d’élévation de la température à +4° en France. On a assisté à une pluie de critiques assurant que c’était un discours de renoncement, et que le gouvernement abandonnait. Mais le discours d’adaptation, c’est un discours d’honnêteté et de vérité, et c’est aussi un discours d’action climatique. Aujourd’hui, il ne faut plus seulement envisager la baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi voir comment on va adapter nos territoires, nos populations, nos activités aux impacts du changement climatique. Il faut à la fois éviter ce qui serait ingérable et gérer ce qui est d’ores et déjà inévitable.

François Gemenne, est-ce que cela veut dire qu’il faut une révolution dans nos têtes?

Très clairement, nous voyons encore les impacts du changement climatique comme on voyait le coronavirus quand il était encore confiné à Wuhan, c’est-à-dire comme un risque distant et lointain, mais qui ne nous concerne pas vraiment. Il faut réaliser qu’on est concerné et que plus on va anticiper ces impacts du changement climatique, y compris sociaux et humains, plus nous allons nous donner une chance de les mitiger et d’en réduire la gravité.

Ce mardi est la 6ème journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Est-ce que cela vous désespère de voir que les questions climatiques passent au second plan alors que la sécheresse concerne une dizaine de départements en ce mois de mars ?

Ce qui me désole, c’est de voir que les questions climatiques sont traitées indépendamment d’un sujet comme les retraites. Tout le plan de réforme des retraites s’appuie sur des scénarios démographiques à moyen et long terme, et on ne se rend pas encore compte de la manière dont le changement climatique va transformer nos conditions de travail, éroder l’espérance de vie en France et provoquer des migrations qui vont également amener des transformations démographiques. On ne se rend pas encore compte que tous les grands sujets économiques, politiques et sociaux vont être transformés, transfigurés par la question climatique. Si on veut discuter sérieusement de l’avenir des retraites, il faut discuter de la manière dont le changement climatique va modifier le travail, l’espérance de vie et l’immigration en France.

 

 

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