Renault et Nissan ont dévoilé à Londres – en terrain neutre – une refonte de leur alliance. Il s’agit de renforcer et de rééquilibrer leur partenariat vieux de 24 ans, mais également à réactiver des opérations commerciales. Jean-Dominique Senard, le président de Renault et de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, était ce mardi matin sur Radio Classique dans Les Stars de l’éco pour en parler au micro de François Geffrier.
Jean-Dominique Senard : « il y avait peut-être une méfiance réciproque liée à une situation juridique assez baroque »
L’alliance entre Renault et Nissan a été renouvelée hier en grande pompe, 24 ans après la première union. Pourquoi est-ce que cette fois-ci ça devrait marcher, alors que jusqu’à aujourd’hui c’était un ménage compliqué ?
Ce type d’union a besoin d’un rafraîchissement et cette nouvelle situation est fondée sur un renouveau opérationnel. Nous sommes prêts à exploiter complètement le potentiel de cette alliance qui, jusqu’à présent, ne l’a pas été suffisamment. Il fallait passer une étape de plus, et c’est ce qui a été expliqué hier à travers tous les grands projets opérationnels que nous avons en Europe, en Amérique latine et en Inde. Depuis quelques temps, il y avait peut-être une méfiance réciproque liée à une situation juridique assez baroque et qui n’était pas soutenable dans la durée. Imaginez-vous simplement que Nissan avait 15% de Renault sans avoir le moindre au droit de vote ! Objectivement, c’est assez frustrant. Mais de l’autre côté, ce qu’on a un peu oublié, c’est que Renault, avec 44% de Nissan, n’avait strictement aucun pouvoir sur l’entreprise, ce qui pouvait également être frustrant.
Aujourd’hui chacun possède 15% de l’autre. L’alliance existe-t-elle toujours, alors que les groupes ont pris une plus grande part d’indépendance ? Est-ce qu’ils vont créer plus de valeur que s’ils étaient séparés ?
Ils ont déjà commencé à en créer. Nous avons des plateformes communes de plus en plus efficaces, près de 90% de nos véhicules électriques seront faits d’ici 2 ou 3 ans sur l’ensemble de nos plateformes communes. Cette équivalence de participation chez l’un et chez l’autre est un progrès chez Nissan et chez Renault. Pour tout vous dire, c’est comme si on partait de zéro tous les deux, et on se retrouve à 15. C’est ça la réalité. Derrière, l’opérationnel prime.
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Jean-Dominique Senard, vous êtes donc président de cette alliance et président de Renault. En quoi ce nouveau schéma est favorable spécifiquement à Renault ?
Renault ne peut pas être seul. Personne ne peut l’être dans cette alliance, Nissan le dit volontiers, Mitsubishi encore plus. L’année dernière, on avait déjà exprimé au niveau de l’Alliance le fait que nous allons avoir des investissements massifs à faire d’ici 2030, notamment pour l’électrification, mais pas seulement. On a parlé de 25 milliards d’euros, on ne va pas le faire tout seul. Le fait d’être avec Nissan et Mitsubishi permet plusieurs choses, d’abord de rendre nos outils opérationnels extraordinairement compétitifs, en chargeant nos usines avec des modèles communs ou dérivés. Ensuite, nous pourrons partager la charge des investissements et se répartir la tâche dans des domaines aussi essentiels que l’industrie des batteries et tout ce qui concerne le système électronique des véhicules. Ce sont des sujets que nous ne pouvons pas faire en doublon. Renault aura sa part notamment sur la centralisation électronique des véhicules et Nissan aura sa part, notamment dans le domaine des batteries, sur lequel le groupe japonais est très en avance. Enfin, il y a aussi la question des véhicules autonomes, même si c’est un sujet à long terme, Nissan a pris de l’avance et par conséquent, l’Alliance en profitera. Voyez-vous, on se répartit la tâche. Je pense que dans l’automobile, nous allons vivre un monde de partenariats. C’est ça, la clé de l’avenir.
Vous avez parlé de l’Amérique latine, de l’Inde. Est-ce que c’est le début de la reconquête internationale pour Renault ?
Je pense qu’on peut le dire comme ça. Il y a un potentiel formidable que nous pouvons exploiter avec nos partenaires. L’Inde est un parfait exemple aujourd’hui. Notre entreprise ne gagne pas d’argent dans ce pays – c’est le moins qu’on puisse dire – et nous savons très exactement ce qu’il faut faire pour en gagner maintenant, et on va le faire, ensemble. L’Amérique latine aussi. L’accès de Renault à l’usine du Mexique de Nissan est très importante, de même que pour Nissan, l’accès aux usines en Argentine de Renault est absolument fondamentale. Là aussi, nous allons mettre en nos forces en commun. Nous allons enfin réaliser ce que tout le monde a en tête depuis très longtemps, c’est-à-dire des véritables actions communes, une mutualisation et évidemment en présence de marchés.
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L’Alliance est tombée à la 4ème place des constructeurs en termes de véhicules produits en 2022
Pour arriver à ce nouvel équilibre dans lequel chacun détient 15% de l’autre, Renault va geler une partie de ses actions chez Nissan. Ça représente 28% de Nissan. Selon vous, à quelle horizon de temps, ils seront revendus ?
Pour tout vous dire, nous avons la liberté de le faire lorsque nous le voulons. Il est évident qu’aujourd’hui le cours en bourse de Nissan ne reflète probablement pas son potentiel. Les accords d’hier sont peut-être d’ailleurs une manière de leur redonner de la couleur.
L’Alliance est tombée de son podium : elle était 2ème constructeur mondial en nombre de véhicules produits en 2022 si on prenait ces 3 groupes. Aujourd’hui elle n’est plus que 4ème.
La course à la taille n’est pas le sujet. Je suis même d’ailleurs très convaincu que ça ne devrait pas l’être. Vous savez, Luca de Meo qui était un excellent directeur général de Renault et ses équipes, l’a dit aussi : « on va vers la valeur et pas vers le volume ». La course aux volumes en additionnant des tas de choses les unes sur les autres pour pouvoir dire qu’on est numéro 1 ou numéro 2, très sincèrement, ça ne nous intéresse pas. J’observe une chose, c’est que la course vers les sommets n’a pas été parallèle à la course à la performance.
Un mot sur le climat social français du moment marqué par la mobilisation contre la réforme des retraites : est-ce que le grand patron que vous êtes craint que l’économie tousse si la contestation dure ?
Oui c’est pas une bonne chose. Il faut certainement imaginer plus de sérénité. Regardez ce qui se passe en Angleterre, en Allemagne ou en Italie. Je dirais de ce point-de-vue là, il faut pas oublier que même en Europe, nous avons des grands concurrents et qu’au fond, chacun est conscient que, dans le monde incroyablement compétitif aujourd’hui, on peut pas trop se permettre des chaos, notamment sur le plan économique.