L’œuvre de Sibelius porte l’âme d’un pays, de ses paysages, de son histoire populaire, des contes mythiques du Kalevala. Elle est aussi profondément novatrice et, bien qu’elle ait été sous-estimée notamment après la Seconde Guerre mondiale, elle apparaît comme l’un des jalons majeurs du XXe siècle.
Jean Sibelius en 10 dates :
- 1865 : naissance à Tavastehus en Finlande
- 1891 : Kullervo
- 1899 : Symphonie n°1
- 1901 : Symphonie n°2
- 1905 : Version définitive du Concerto pour violon
- 1913 : Luonnotar
- 1915 : Symphonie n°5
- 1924 : Symphonie n°7
- 1926 : Tapiola
- 1957 : mort à Järvenpää, près d’Helsinki
Juriste, virtuose, compositeur ? Le jeune Sibelius doit faire des choix
Celui qui deviendra le plus grand compositeur finlandais du XXe siècle entreprend des études de droit. Mais il espère secrètement embrasser une carrière de virtuose et, entre deux cours, écrit un certain nombre de pièces de musique de chambre et peaufine sa technique du violon
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Au cours des hivers 1890 et 1891, il part étudier à Berlin puis à Vienne. Quelques partitions d’orchestre voient le jour, préludes à sa première œuvre d’envergure, Kullervo. Composée pour soprano, baryton solistes, chœur d’hommes et orchestre, Kullervo est une fresque épique qui vaut au jeune Sibelius, alors âgé de 26 ans, une notoriété internationale. Elle ouvre ce que l’on a appelé sa première période “romantico-nationale”. Tout semble sourire à Sibelius qui épouse Aino Jänerfelt.
Les contes mythiques du Kalevala sont au cœur de l’œuvre du compositeur
Les compositions s’enchaînent à un rythme régulier. En Saga, tout d’abord puis la Suite de Lemminkaïnen, achevée en 1895. Sibelius s’inspire des contes mythiques du Kalevala écrits dans les années 1830, sous la plume d’Elias Lönnrot (1802-1894). Vingt-trois mille vers exaltent les chants de Carélie. Sibelius choisit l’un des héros, Kullervo pour sa symphonie. L’identité nationale nourrit l’originalité du langage du compositeur. Elle annonce la Première Symphonie de 1899. Celle-ci recompose un folklore imaginaire criant de vérité. L’inspiration se tourne plus volontiers vers les couleurs slaves d’un Tchaïkovski. « Il y a chez cet homme bien des choses que je reconnais en moi-même » affirme Sibelius à son épouse Aino, en songeant au musicien russe. Lors de la création, en 1899, le succès est d’autant plus immédiat que le public s’approprie l’œuvre comme un acte de résistance face à l’hégémonie de la Russie du tsar Nicolas II.
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En s’éloignant des influences russes et allemandes, Sibelius pose les bases d’une musique authentiquement finlandaise. Il devient une personnalité majeure de son pays
Après la Première Symphonie, voici les Scènes historiques qui marquent le soutien de Sibelius à la presse finlandaise, censurée par le régime tsariste. Le sentiment de joie magnifie la grandeur d’un peuple invaincu. Puis c’est au tour de Finlandia, partition magistrale, “second” hymne du pays.
Le poème symphonique Finlandia
Musicien choyé, Sibelius reçoit une rente annuelle du gouvernement, qui deviendra plus tard une rente à vie… Malheureusement, celle-ci ne couvrira que rarement ses dettes. La musique de Sibelius est régulièrement jouée en Europe. Il dirige ses propres œuvres et compose durant ses voyages en famille. En Italie, en 1901, il débute l’écriture de sa Deuxième Symphonie qui sera la plus jouée des sept. « Cette symphonie est le fruit d’une lutte amère et douloureuse » écrit-il. La création connait un immense succès. Le tribut au romantisme et aux deux dernières symphonies de Tchaïkovski est frappant. Toutefois, contrairement au compositeur russe, ce n’est pas l’esprit du Fatum – du destin – qui domine, mais un optimisme chargé d’une énergie virile.
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En 1903, le dramaturge Arvid Järnefelt avait écrit la pièce Kuolema (la Mort). Sibelius qui est devenu son beau-frère, accepte d’en écrire la musique de scène. La Valse triste qui allait connaître une fantastique renommée, est la première des quatre parties de l’œuvre. En 1904, Sibelius la révise et décide que la Valse triste peut être jouée indépendamment. Bien des jugements critiques à l’encontre du compositeur finlandais ont pris pour exemple cette page qui a servi à plusieurs musiques de film. Sibelius la jugera finalement “insignifiante”.
Sibelius n’a jamais abandonné l’idée de mener une carrière de violoniste virtuose
Dans sa jeunesse, Sibelius se produisit régulièrement en public, jouant notamment les concertos pour violon de Vieuxtemps et de Mendelssohn. En 1902, il compose son unique Concerto pour violon, l’un des plus délicats du répertoire, au point que Richard Strauss exige quatre répétitions avant de la diriger ! L’unique pièce concertante de son catalogue est profondément marquée par des problèmes personnels : difficultés financières, alcoolisme chronique, doutes permanents quant aux choix esthétiques… La première version, en 1904, est un échec. Joseph Joachim, créateur des concertos de Brahms et de Bruch, trouve l’œuvre « abominable et ennuyeuse ». En revanche, la mouture révisée l’année suivante est mieux accueillie. Il faudra attendre un demi-siècle pour que le Concerto s’impose, enfin, au concert.
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Le langage de Sibelius s’éloigne du postromantisme et affirme sa prodigieuse originalité
En 1905, toujours, Sibelius se passionne pour le thème de Pelléas et Mélisande et se lance dans la composition d’un intermède musical destiné à la pièce de Maeterlinck. L’année suivante, La Fille de Pohjola, fantaisie symphonique s’inspire de l’épopée du Kalevala. D’une puissance expressive remarquable, la musique fait appel à un orchestre imposant tout comme l’étonnante Chevauchée nocturne et Lever de soleil qui voit le jour en 1907. Sibelius vient tout juste d’être opéré d’une tumeur à la gorge. Faut-il voir dans le rythme haletant du début de la partition, l’expression d’une profonde angoisse ? « La musique traite des expériences intérieures d’un homme ordinaire seul à cheval dans l’obscurité de la forêt. Parfois, content d’être seul au milieu de la Nature. De temps en temps, les bruits étranges le remplissent de crainte. Il n’a pas de pressentiment excessifs, mais il est plein de reconnaissance et de joie quand le jour se lève » écrit Sibelius. La partition annonce les Cinquième et Sixième Symphonies, composées respectivement en 1915 et 1923.
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Une crise existentielle bouleverse le compositeur. Il cesse de composer les trente dernières années de sa vie
Avant la Première Guerre mondiale, Sibelius multiplie les voyages à l’étranger, notamment en Angleterre où il termine son quatuor à cordes Voces intimae, en 1909. L’angoisse de mourir d’un cancer explique, en partie, un besoin irrépressible de composer. La Symphonie n°4 de 1911 puis Le Barde en 1913 ainsi que le poème pour soprano et orchestre Luonnotar , la même année, en témoignent. Le poème symphonique Les Océanides est écrit lors d’une tournée aux Etats-Unis. L’écriture de Sibelius, aux antipodes de celles de Mahler et de Richard Strauss, confine à l’austérité. Elle est incomprise.
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L’immense Symphonie n°5 est achevée durant la guerre. La partition connaît une véritable métamorphose entre son premier jet, en 1915 et sa publication, en 1919. Entretemps, la Révolution russe a permis à la Finlande d’acquérir son indépendance. La musique témoigne avec un lyrisme extraordinaire d’une confiance dans un avenir radieux pour le pays. Elle s’achève de manière stupéfiante avec six puissants accords détachés.
Après le conflit, Sibelius reprend ses périples en Europe. La Symphonie n°6 voit le jour en 1923 et la dernière, l’année suivante. La Symphonie n°7 est construite en un seul mouvement de 525 mesures. Sibelius confie une place centrale au trombone et élabore la partition par une “croissance thématique” dont la modernité fascinera des générations de compositeurs. Une nouvelle musique de scène pour la Tempête de Shakespeare et le poème symphonique Tapiola, tous deux datés de 1926 referment le catalogue symphonique du compositeur. Le manuscrit d’une Huitième Symphonie aurait été détruit…
Sibelius vit ses trente dernières années sans composer. Il accomplit quelques voyages de “prestige”, afin d’honorer des festivals qui lui sont dédiés. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il préfère rester dans son pays. Il meurt en 1957.
Stéphane Friédérich