Fin 1822, Franz Schubert (1797-1828), déjà affaibli par la maladie (vraisemblablement vénérienne), jette ses dernières forces dans le travail et entame une nouvelle phase de son œuvre. Naissent alors le cycle de lieder La Belle Meunière, puis, en 1824, le Quatuor Rosamonde, la Sonate Arpeggione et le Quatuor « La Jeune Fille et la Mort ».
Tour à tour d’une ampleur symphonique et d’un lyrisme intimiste, d’une noirceur saisissante et d’une douceur enveloppante, ces deux monuments chambristes révèlent le côté Janus de Schubert
Si Schubert laisse de plus en plus de partitions inachevées, tout ce qu’il achève prend une dimension nouvelle. Ses quatuors ne sont plus du « premier violon accompagné » : ils gagnent en expressivité, en puissance et en richesse symphonique. Le Quatuor à cordes n° 13 « Rosamonde » fut le seul imprimé et exécuté en public de son vivant. Une œuvre murmurée, avec ses trémolos, ses unissons de mélodies, ses modulations. Ce quatuor à cordes est profondément touchant par ses confidences sans véhémence ni dramatisme. Hymne nocturne à la nostalgie, cette musique fragile ne doit pas être jouée de manière trop désolée ou trop légère, mais dans l’ambiguïté, entre rosée et larmes. Schubert y fait entendre en réalité une ode fraternelle, comme l’ont bien compris les membres du Quatuor Hermès. Le Quatuor à cordes n° 14 « La Jeune Fille et la Mort », marqué au coin du désespoir, paraît en comparaison plus univoque, même si son troisième mouvement (un « Scherzo »), opère une ouverture salvatrice dans l’épaisseur de la nuit.
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Schubert rejoint Mozart, qui disait que la mort est la meilleure amie de l’homme. Du reste son quatuor partage avec le Requiem de son illustre aîné la dramatique tonalité de ré mineur. Le premier mouvement est une véritable lutte pour la vie, dont l’intensité tragique dépasse le cadre d’ordinaire assigné à la « musique de chambre ». Dans le deuxième mouvement, la mort est acceptée. Les ombres envahissent par intermittence l’ironique troisième mouvement, puis l’œuvre se termine par une course à l’abîme, qui revêt la forme (faussement) badine d’une tarentelle. Omer Bouchez, Elise Liu (violons), Lou Yung-Hsin Chang (alto) et Yan Levionnois (violoncelle) perçoivent bien cette ambiguïté des finals schubertiens : nos quatre instrumentistes dansent ici sur un volcan, sans rien abdiquer de leur parfaite cohésion. On en ressort bouleversé.
Franz Schubert : Quatuors à cordes n° 13 « Rosamonde » & 14 « La Jeune fille et la mort ». Quatuor Hermès (1 CD La Dolce Volta)
Jérémie Bigorie
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