Peut-on parler des tenues de Yuja Wang lors de ses récitals ? Est-il approprié de faire des commentaires sur la robe africaine de la pianiste Samantha Ege ? La musicologue britannique Leah Broad jette un pavé dans la mare en répondant que « oui, il faut parler des vêtements des musiciennes classiques », sans pour autant céder à la critique ou à la sexualisation des corps.
La tenue est un élément important de la performance de l’artiste
Parler des vêtements des musiciens classiques, et plus particulièrement des musiciennes, est tabou, selon Leah Broad, musicologue diplômée d’Oxford. Dans les colonnes du Guardian, ce 19 avril, elle livre son analyse sur les tenues des musiciennes. Elle assure qu’on peut, et même qu’on doit parler des costumes des artistes sur scène, comme un prolongement visuel des œuvres qu’elles interprètent. Elle explique que c’est un élément important de la performance de l’artiste. Aujourd’hui la Chinoise Yuja Wang, l’une des pianistes les plus renommées, apparaît régulièrement dans des robes près du corps, parfois aux couleurs vives et à paillettes.
A lire aussi
Des tenues courtes qui sont un moyen pour elle d’affirmer son jeune âge (35 ans) et de mettre en valeur ses 158 cm. En 2013 le New York Times a d’ailleurs souligné que la puissance scénique de Yuja Wang est accentuée par la vivacité et la mobilité de son corps. Il semble donc naturel que la pianiste choisisse des habits lui permettant de pleinement s’exprimer. L’article du Guardian cite également Jocelyn Lightfoot, à la tête du London Chamber Orchestra : « la plupart des musiciens n’ont pas l’impression de pouvoir parler de leurs vêtements ». Pourtant la compréhension visuelle d’une tenue peut améliorer l’expérience du spectateur. Ainsi lors d’un récital d’œuvres de la compositrice afro-américaine Florence Price, la pianiste Samantha Ege a choisi une robe en tissu wax, “influencée par les styles d’Afrique de l’Ouest ».
Les critiques ont du mal à parler des tenues féminines d’une manière délicate
Samantha Ege a ensuite regretté de n’avoir pas pu expliquer le choix d’une tenue qui évoque fortement les thèmes de son répertoire. Il faut dire qu’historiquement, le corps des musiciennes a plutôt été effacé pour ne pas distraire l’auditoire. En 1944, la chef d’orchestre Ruth Gipps a été accusée « d’auto-publicité » pour avoir arboré une robe trop colorée. Selon Leah Broad, ce tabou autour de l’aspect vestimentaire des musiciens classiques peut s’expliquer par l’incapacité des critiques à parler des tenues féminines d’une manière délicate. En effet le traitement réservé à Yuja Wang n’est pas le même que pour ses confrères masculins. Quand les robes de la pianiste chinoise font l’objet de commentaires, le style des violonistes Nemanja Radulovic ou Nigel Kennedy sont salués pour leur modernité.
A lire aussi
Il faut malgré tout noter que L’Orchestre de Paris et le London Chamber Orchestra ont supprimé la cravate de leur costume. Les deux orchestres se veulent plus inclusifs et ont donc décidé d’enlever ce symbole masculin de leurs tenues. Leur objectif est de créer « un miroir entre le public et l’orchestre ». L’Orchestre de Paris est même allé plus loin en collaborant avec la marque de vêtements Fursac, dont le directeur artistique est un ancien violoncelliste. Les vêtements de scène de l’ensemble ont été créés spécifiquement pour les musiciens d’orchestre, avec des boutons recouverts de tissus pour éviter de percuter les instruments. Est-ce le signe que cela devient un sujet à part entière dans le milieu classique ? C’est en tous cas ce que veut promouvoir Leah Broad, qui incite à considérer le vêtement comme une part entière du processus créatif musical.
Jeremy Merzisen