Empoisonnées, poignardées ou encore brûlées vives, les héroïnes d’opéra ont la vie dure. Quid de ces destins tragiques (au féminin) si souvent banalisés dans l’écriture opératique ? Le spectacle No(s) Dames interroge les questions de genre en proposant une inversion des rôles, dans un récital lyrique voulu humaniste par le quatuor Zaïde et le contre-ténor Théophile Alexandre.
Solveig, femme délaissée, attendra 30 ans le retour de son mari Peer Gynt
L’idée de ce spectacle a germé dans l’esprit du contre-ténor Théophile Alexandre. Elle lui est venue de son amour pour le personnage de Carmen et la musique de Georges Bizet dès l’âge de 8 ans. C’est bien plus tard qu’il découvrira « cette fatalité de genre » et ce postulat que « les héroïnes, parce qu’elles sont femmes, ont un destin tragique à l’opéra ». De quoi s’interroger sur notre héritage culturel, à savoir : quatre siècles d’opéra toujours composés et écrits par des hommes. Car le constat est là. Pas moins de 8 héroïnes sur 10 meurent à l’opéra par amour pour et par un homme. Et si elles ne succombent pas, ces femmes sont souvent victimes d’autres formes de maltraitance comme c’est le cas de Solveig, femme délaissée, qui attendra 30 ans le retour de son mari Peer Gynt dans l’oeuvre d’Edvard Grieg.
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Mais ce n’est pas sans rappeler que les hommes, eux aussi, sont victimes de ces clichés de genre. Le ténor qui endosse communément le rôle de conquérant courageux partant à la découverte du monde n’est autre qu’une représentation des mœurs de l’époque, selon Théophile Alexandre. Ce projet artistique « humaniste » souhaite, de fait, rassembler le public autour de questions on ne peut plus actuelles. « C’est uni que l’on avance et pas contre les autres, il ne s’agit pas ici de diviser ou de dénaturer le répertoire » estime le contre-ténor. Toutefois, inverser les rôles et interpréter la tessiture d’une soprano avec une voix masculine n’a pas été simple à réaliser. Car si la voix de contre-ténor ou falsettiste est la voix chantée la plus aiguë chez l’homme, il aura fallu de nombreuses transpositions de tonalités pour que ces grands airs d’opéra puissent être interprétés de la sorte. L’effectif instrumental a également été réduit. L’écriture de Giuseppe Verdi par exemple – qui nécessite près de 80 instrumentistes dans la fosse d’orchestre – est cette fois jouée par un quatuor à cordes : le Quatuor Zaïde.
Théophile Alexandre aimerait que certaines oeuvres puissent bénéficier d’une seconde lecture
Le spectacle couvre tous les continents et toutes les périodes pour suggérer la féminité à travers un large répertoire : de Francesco Cavalli en Italie au XVIIe siècle, à Astor Piazzolla dans l’Argentine du vingtième. « C’est une sorte de pattern ou peu importe les époques, quel que soit le lieu, il y a toujours cette notion de fatalité de genre » affirme Théophile Alexandre. De quoi mettre en lumière l’universalité du thème soulevé. Le fil conducteur de cet ersatz musical, emprunt d’une sororité macabre, répond aux trois grands stéréotypes féminins entretenus dans l’écriture opératique. On y retrouve des héroïnes comme Eurydice de Glück ou encore la Barberine de Mozart dans le rôle des « madones », tandis que Salomé de Strauss et Giulietta d’Offenbach endossent le rôle des « putains ». C’est sans oublier ces « sorcières » comme la Dalila de Saint-Saëns ou la Norma de Bellini. Cette suite vocale de 23 héroïnes dévoile in fine « LA femme ». Celle qui n’est autre qu’un archétype féminin fantasmé par l’homme. Le contre-ténor souhaiterait ainsi que : « les gens prennent conscience de cette problématique comme j’ai pu en prendre conscience assez tardivement. Lorsque l’on voit une Violetta ou encore une Manon de Massenet, j’aimerais que l’on puisse avoir une seconde lecture de l’œuvre » confie-t-il.
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Si la femme est certes magnifiée dans ce répertoire, il ne faudrait pas nier les sévices qui en découlent selon l’artiste. Véritable prisme sociétal, l’opéra reflète la place de ces femmes, mais la réflexion pourrait être poussée davantage : « ce sont aussi des questions actuelles qui sont soulevées, il faut que les compositrices d’aujourd’hui aient une visibilité. J’espère que cela va changer et il faut le voir dans tous les arts ». Au Trianon de Paris le 9 janvier 2023, le spectacle sera précédé d’une conférence sur les corsets de genre de la culture lyrique en compagnie de la philosophe Catherine Clément, de la cheffe d’orchestre Laurence Equilbey et la metteuse en scène Macha Makeïeff.
Ondine Guillaume