Personnage d’une importance toute particulière dans le monde de la musique classique, Daniel Barenboim s’est confié au micro de Laure Mézan à l’occasion de son grand retour au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Le chef d’orchestre et pianiste a évoqué sa relation de toujours avec son amie et partenaire musicale Martha Argerich, ainsi que sur les conséquences de la crise sanitaire sur la vie culturelle.
Daniel Barenboim : « L’être humain ne vit pas seulement de nourriture et d’argent, il a une nécessité spirituelle »
Figure prééminente de la vie musicale berlinoise, en tant qu’habitué du Berliner Philharmoniker, directeur musical de la Staatskapelle Berlin et figure majeure de la Boulez Saal, l’annulation des manifestations culturelles dans la capitale allemande lui a permis de faire son retour au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence : « j’ai toujours du mal à venir car nous avons notre festival à Berlin sur les mêmes dates (…) Renaud Capuçon m’a souvent invité à venir à Aix-en-Provence et cette année j’ai enfin pu venir, c’est un tout petit bénéfice de ce covid-19 ». Ce retour à Aix-en-Provence est l’occasion de retrouver sa complice Martha Argerich pour un récital à quatre mains dédié à Mozart, Debussy et Bizet au Grand Théâtre de Provence.
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Le pianiste israélo-argentin partage depuis de nombreuses années une relation musicale et amicale avec Martha Argerich : « nous nous sommes connus en 1949, alors que nous étions enfants, après cela ma famille et moi somme partis d’Argentine pour aller en Israël en 1952 (…) on s’est de nouveau rencontrés en 1960 quand elle vivait à New York, on a continué à se voir les années suivantes mais nos vies d’artistes ne nous permettaient pas de le faire régulièrement (…) c’est dans les années 1980 que nous nous sommes retrouvés et plus jamais quittés, on a joué ensemble quand j’étais directeur musical de l’Orchestre de Paris et donné notre premier récital commun, depuis ce moment on a toujours joué ensemble ». Cette complicité aussi forte s’explique selon lui par une amitié indéfectible et un rapport commun à l’instrument : « nous venons de la même école, son professeur était le professeur de mon père, qui lui-même m’a donné beaucoup de leçons ». Cette alchimie est essentielle pour jouer au piano à quatre mains selon Daniel Barenboim : « lorsque deux violons jouent la sonorité devient plus grande, plus ample, deux pianos, c’est exactement le contraire, il faut faire attention à jouer avec plus de légèreté que quand on joue seul car trop de volume dans la clavier rend quelque chose d’inexpressif (…) j’adore jouer avec Martha et je joue uniquement avec elle à quatre mains, c’est la seule personne avec laquelle j’ai une compréhension de tout les aspects du jeu à quatre mains »
Daniel Barenboim : « ce qui est d’ordre spirituel a baissé d’importance dans notre monde (…) pour moi le monde va dans une direction triste »
Si les orchestre symphoniques et maisons d’opéra arrivent en Europe à maintenir un semblant de saison musicale par le streaming, les enregistrements et les retransmissions télévisées, les orchestres américains sont eux totalement à l’arrêt depuis le début de la pandémie. Habitué des orchestres américains en tant qu’ancien directeur du Symphonique de Chicago, Daniel Barenboim explique cette situation par un modèle culturel et économique différent de celui européen : « la situation aux Etats-Unis est différente parce qu’ils n’ont pas de subventions, ce n’est que de l’argent privé (…) mais j’avoue ne pas comprendre la situation actuelle, pourquoi les mécènes n’ont pas trouvé le moyen de garantir la continuité de l’existence de ces orchestres ? (…) Dans une institution aussi prestigieuse que le MET les musiciens ont reçu leur dernier salaire en mars 2020, c’est très triste ». Cette déroute subie par les orchestres américains démontre, pour le directeur musical de la Staatskapelle de Berlin, que « les subventions des gouvernements sont essentielles pour maintenir la qualité et l’existence de nos orchestres ». Les orchestre symphoniques américains ne sont évidemment pas les seuls à souffrir de la crise du covid-19 et, alors qu’il entame sa « 71e année sur scène », Daniel Barenboim alerte également sur la situation désastreuse des jeunes musiciens : « c’est un gros coup dur pour eux, il faut trouver des moyens de leur donner un coup de main, et pas seulement des aides économiques, ils ont besoin de possibilités artistiques ».
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Voix qui compte dans le domaine de la culture, Daniel Barenboim a publiquement dénoncé à de nombreuses reprises la place faite à la culture dans la crise du covid-19. Selon lui, l’abandon du spectacle vivant est une preuve que « ce qui est d’ordre spirituel a baissé d’importance dans notre monde (…) pour moi le monde va dans une direction triste ». S’il ne remet pas en cause une logique de restrictions pour faire face au covid-19, tant la situation sanitaire l’impose, il regrette « des choix manquant parfois de logique (…) la priorité doit évidemment être la santé, la seconde chose à garder à l’esprit doit être les conséquences économiques, car tant de gens souffrent (…) mais il ne faut pas négliger la culture (…) les politiques doivent défendre la culture comme une chose essentielle à l’être humain, on ne vit pas seulement de nourriture, d’argent et de consommation, il y a une nécessité spirituelle ». Cependant, Daniel Barenboim souhaite rester positif et déclare faire confiance à Angela Merkel et Emmanuel Macron, « deux personnes qui connaissent la culture et aiment la musique, et dont je suis sûr qu’ils auront la sensibilité nécessaire pour animer le retour de la vie musicale ». Si son message est bel et bien entendu, Daniel Barenboim retrouvera le public parisien pour deux concerts fin juin à la Philharmonie de Paris à l’occasion de la Biennale Pierre Boulez.
Rémi Monti