#MeToo : Sabine Prokhoris dénonce une « religion politique »

Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste, était l’invitée de Renaud Blanc ce lundi 15 novembre sur Radio Classique. Elle publie « Mirage #MeToo » aux éditions du Cherche midi, une critique et réflexion autour du mouvement féministe et de son impact dans la sphère politique. Sabine Prokhoris a réagi à la publication de la tribune parue ce matin dans le journal Le Monde et qui réclame un #MeToo politique signée par certaines élues politiques.

« Le mouvement #MeToo est une illusion de libération et c’est un vrai terrorisme intellectuel »

Si la France n’a connu au cours de son histoire politique, que deux femmes au second tour de la présidentielle – Ségolène Royale et Marine Le Pen – et une seule femme Premier ministre il y a 30 ans, Edith Cresson, la place des femmes en politique peut sans doutes être interrogée. La philosophe rappelle qu’Edith Cresson avait été « extrêmement maltraitée » parce que elle était une femme et qu’il s’agissait donc de maltraitance sexiste selon elle. Sabine Prokhoris affirme qu’aujourd’hui en France, nous ne sommes pas dans une situation ou les femmes sont à égalité politiquement et du point de vue de l’exercice du pouvoir. Dans ce contexte, Renaud Blanc interroge la philosophe : « la radicalité de certains mouvements féministes peut-elle être la cause ou la conséquence de certains discours politiques ? ». Le journaliste cite ainsi Donald Trump ou encore Eric Zemmour -qui considérait par exemple à travers son ouvrage que les femmes peuvent être apparentées à des butins-. Sabine Prokhoris n’en est pas vraiment certaine car elle considère que ce sont des personnages qui ne sont pas entièrement « représentatifs de la classe politique dans son ensemble ». Selon elle, leurs discours sont « intolérables et presque risibles ». Ce n’est pas a priori non plus un mouvement radical de plus qui se joue aujourd’hui dans ce qu’elle nomme « le féminisme new look ». Cela s’apparenterait davantage à un mouvement dit « total ». Une tribune parue dans le journal Le Monde ce matin et intitulée : «  Il faut  écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes de la vie politique » appelle à un #MeToo politique.

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Ces femmes signataires de la tribune demandent à exclure d’un mouvement politique les personnes considérées comme « auteur de violences ». Cependant, il existe un paradoxe pour Sabine Prokhoris puisqu’on ne pourrait qualifier un auteur de violence qu’une fois un jugement prononcé par la justice. Dans son livre « Le mirage #MeToo », la philosophe déclare que le mouvement « est une illusion de libération et que c’est un vrai terrorisme intellectuel ». En effet, considérant que #MeToo fonctionnerait plus comme une « religion politique » que comme un espace de réflexion et de débat, il ne s’agit pas pour elle de débattre au sein du mouvement mais plutôt d’interdire de considérer comme moralement mauvais tout questionnement sur la nature de celui-ci. La psychanalyste dénonce « un manque de nuance au sein du mouvement qui ne fonctionne qu’avec des slogans ». Il s’agit selon elle de se voir attribuer soit le rôle de la victime, soit celui du bourreau avec entre les deux, aucun autre rôle intermédiaire possible. Sabine Prokhoris déplore le fait « que chaque personne qui se plaint ou qui accuse ne suffit pas à la qualifier de victime ».  C’est en quelque sorte l’accusation qui devient révélation. Le mot « victime » présuppose selon la philosophe, que le fait dont on dit avoir été victime ait eu lieu. « Cela ne veut pas dire que la souffrance de ces personnes qui se disent victimes soit fausse mais ça n’est pas pour autant qu’elle est la preuve d’une vérité » ajoute-t-elle. Sabine Prokhoris va même jusqu’à faire un parallélisme avec une personne jalouse et pathologique qui va se considérer comme étant victime des tromperies de son compagnon ou de sa compagne. Pour elle, sa souffrance sera indéniable mais pour autant, ces allégations ne sont pas la preuve de ses vérités puisque « cela n’est pas forcément véridique ».

En France, seulement 10% des plaintes pour viols ou tentatives de viols aboutissent

Le mouvement #MeToo remettrait donc en cause la présomption d’innocence et par conséquent les principes fondamentaux de l’Etat de droit selon elle. De plus, Sabine Prokhoris pointe du doigt les « grands médias », un certain nombre d’intellectuels ainsi que la classe politique qui reprennent « sans aucune distance critique » les positions du mouvement. Il lui paraît par exemple insensé qu’Emmanuel Macron, président de la République, puisse reprendre le slogan des féministes : « victimes vous ne serez plus jamais seules, victimes on vous croit », à la suite de l’affaire Duhamel. Dans la tribune du Monde, des députés et potentiels candidats à la présidentielle de 2022 sont accusés de violences sexistes et/ou sexuelles, sans que leur nom ne soit cité. Pour la philosophe, « livrer des noms en pâture (sic) est extrêmement accusatoire ». Si elle considère que les gens qui « ont à se plaindre » peuvent porter plainte, doivent être entendus, accueillis et écoutés, cela ne signifie pas pour autant « que l’on doit croire ces personnes sur parole ».

 

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En France, seulement 10% des plaintes pour viols ou tentatives de viols aboutissent. De quoi se demander si le mouvement #Metoo n’a quand même pas permis de faire bouger les choses. A cela, la philosophe répond que #MeToo est pour elle l’inverse de la doxa et que ce mouvement est « structurellement vicié dans ses logiques mais avec quelques effets bénéfiques ». En ce qui concerne la prise de conscience collective elle émet de gros doutes et ne voit pas pour l’instant émerger : « un #MeToo caissière ». A défaut de parler de prise de conscience, l’invitée de la matinale parle plutôt d’ « enrégimentement avec l’illusion que la parole se libère ». S’agit-il alors d’un problème générationnel entre nouvelles et anciennes féministes; à l’image d’une Catherine Deneuve et d’une Adèle Haenel ? La psychanalyste affirme que c’est le cas, mais pas uniquement, puisqu’elle voit des personnes « plus âgées qui courent après ce mouvement » et « pas seulement sur la question féministe mais également sur la question racialiste ». Un effet générationnel qui fait tache d’huile selon elle puisqu’elle dénonce une légifération « à toute vitesse après l’affaire Duhamel » et ce, de manière inconsidérée. A l’inverse, elle pointe du doigt les 3 ans du gouvernement à légiférer sur la PMA. En fin de compte pour résumer le positionnement de Sabine Prokhoris Renaud Blanc cite Simone de Beauvoir : « Le fait d’être un être humain est indéfiniment plus important que toutes les singularités distinguant les êtres humains ». Car pour elle, si c’est en tant que femme qu’il existe de la discrimination, « c’est d’abord en tant qu’être humain qu’on doit exiger revendiquer et obtenir l’égalité des droits ».

Ondine Guillaume

 

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