Manifestations en Iran : « Les femmes dirigent ce mouvement et elles sont soutenues par les hommes » souligne Azadeh Kian

John Lamparski/Sipa USA/SIPA

Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne et autrice de « Femmes et pouvoir en islam », était l’invitée de la matinale de Radio Classique. La contestation pour les droits des femmes en cours en Iran est inédite par son ampleur et ses revendications, estime-t-elle, et il revient à l’Occident d’accentuer la pression sur les ultraconservateurs au pouvoir.

L’ultraconservateur Ebrahim Raïssi incarne la « talibanisation du pouvoir iranien »

L’Iran a connu plusieurs mouvements sociaux depuis la révolution islamiste de 1979, mais celui en cours est différent de tous les précédents, affirme Azadeh Kian : « les femmes dirigent ce mouvement et elles sont soutenues par les hommes ». Les manifestations d’ordre économique, social et politique se sont « greffées » aux revendications des droits des femmes, portées par une population jeune et « ouverte sur le monde ». « C’est la première fois que le slogan principal d’un tel mouvement est « femme, vie, liberté » », avance la sociologue. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini il y a plus de 40 ans, la fronde au pouvoir des mollah se focalise sur le port du voile obligatoire, « un des symboles idéologiques islamistes du régime », remarque l’écrivaine. Azadeh Kian se rappelle avoir manifesté à l’époque au côté de « milliers de femmes à Téhéran ». Quand les Iraniennes osent brûler leur voile dans les cortèges aujourd’hui, « elles brûlent en réalité l’islam politique ».

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Depuis l’arrivée à la présidence de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi en juin 2021, « on est face à la talibanisation du pouvoir iranien » et une concentration des pouvoirs dans les mains des ultras, constate-t-elle. Aujourd’hui, « le régime a pris peur et tire à balles réelles », ce qui provoque de la contestation jusqu’au sein des forces de l’ordre. « Pourquoi est-on en train de tuer des jeunes qui manifestent dans la rue pour revendiquer le travail et la liberté ? », s’étrangle-t-elle.

La contestation en Iran s’étend des footballeurs aux ouvriers en passant par les enseignants

Plus les années passent, plus l’écart se creuse entre « une société qui aspire à la modernité et des institutions moyenâgeuses », poursuit la sociologue. Les femmes sont aujourd’hui en majorité à l’université, avec trois millions d’étudiantes. Le taux de natalité en Iran est d’1,6 enfant – c’est moins qu’en France – et 75% de la population est urbaine. Azadeh Kian est persuadée que ces caractéristiques vont entraîner « des tensions de plus en plus importantes » avec le régime, déjà visibles par l’ampleur du mouvement. Récemment, l’équipe nationale de football a apporté son soutien à la contestation, en cachant le blason de l’Iran devant les caméras lors d’une rencontre, ce qui a valu une confiscation des avoirs de certains joueurs. Beaucoup de journalistes et de célébrités, notamment des acteurs, ont aussi affiché leur opposition.

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Ce qui est inédit, indique Azadeh Kian, c’est que la contestation s’étend même aux ouvriers du pétrole. « Si le régime continue à réprimer, ils vont cesser le travail et fermer le robinet de pétrole. C’est exactement ce qui s’est passé en 1979, ce qui avait contribué à la chute du régime du chah », précise-t-elle. Les enseignants sont aussi en train de joindre en masse le mouvement. Si la pression internationale s’accentue sur l’Iran, d’autres couches sociales iront dans la rue à leur tour, insiste Azadeh Kian. Une condamnation de l’Iran par l’Union Européenne et l’ONU pour le respect des droits humains aurait un impact significatif selon elle : « ça reste un régime qui existe dans un monde globalisé et qui a besoin des autres ». L’Europe devrait même refuser d’acheter du pétrole iranien – une alternative envisagée pour remplacer à court terme l’approvisionnement russe. « Soit on est pour le principe démocratique dans le monde et on accepte d’avoir un peu plus froid cet hiver, soit on donne des gages à un régime moyenâgeux et répressif », assène-t-elle.

Clément Kasser

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