Compositeur en Russie soviétique, Chostakovitch subit des pressions fortes de la part du Parti. La violence et la peur, la rigidité des chefs, mais aussi une aspiration à la liberté et à la paix, s’exhalent de toutes ses œuvres. Encensé de son vivant à la fois en URSS et à l’étranger, Chostakovitch a tenu pendant soixante ans une position compliquée, souvent controversée aujourd’hui, et parfois au péril de sa vie.
Dans la Russie de Staline, Chostakovitch doit se plier au dictat du régime soviétique
Contrairement à Stravinsky ou Rachmaninov, qui émigrent aux Etats-Unis pour fuir la révolution bolchévique, Chostakovitch passe toute sa vie en Russie. Le régime soviétique se sert de son talent comme vitrine, aussi bien vis-à-vis de l’Occident qu’à l’intérieur des frontières de l’URSS, et le compositeur doit se plier à ses exigences. Gare aux artistes qui s’éloignent de la ligne esthétique (grandeur, simplicité et réalisme) définie par le Parti ! Lorsque la presse officielle conspue son opéra Lady Macbeth de Mzensk, Chostakovitch se rachète avec sa Cinquième Symphonie pour éviter le goulag. Toute son œuvre est à l’image de cet épisode : des compromissions pour garder la vie sauve (les Suites de jazz dont la fameuse Valse n°2, musiques de films soviétiques, etc.) et pouvoir composer d’autres œuvres plus personnelles, quitte à les montrer plus tard. La Quatrième Symphonie ne sera ainsi créée qu’en 1961, bien après la mort de Staline.
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Ironie, grotesque et espérance désolée traversent l’œuvre du compositeur, qui y insère souvent sa signature musicale
A l’image de ce conflit intérieur permanent, les œuvres de Chostakovitch reposent sur des contrastes. Aux fanfares tonitruantes, succède l’espérance mélancolique d’un monde plus apaisé, longues plaintes désolées tel le mouvement lent du Concerto pour piano n°2. Mais l’angoisse, toujours, domine. La violence et la coercition sont perceptibles dans ses symphonies, ses quatuors à cordes, ses concertos, ou encore ses opéras. Pour exprimer tout cela et ne pas devenir fou, Chostakovitch a recours au grotesque. Rythmes, langage harmonique, timbres et modes de jeu, court motifs mélodiques répétés en boucle… tous les modes du jeu instrumental sont convoqués pour traduire les rigidités absurdes et les pressions auxquels sont soumis les artistes. Ainsi par exemple l’ironie noire du 3ème mouvement du Quatuor n°8, avec sa valse et ses citations du Premier Concerto pour violoncelle. On y entend la signature musicale de Chostakovitch : un court motif de 4 notes correspondant aux lettres DSCH. Transposé, distordu, renversé, son traitement musical dans nombre de ses œuvres (notamment le Trio n°2, le Premier Concerto pour violon, et les Symphonies n°10 et 15) traduit déjà en lui-même la tension d’un compositeur qui, malgré le contexte, aura produit parmi les plus grands chefs-d’oeuvres du XXème siècle.
Sixtine de Gournay
1) Jazz Suite n°2, Valse n°2 (Berliner Philharmoniker dirigés par Riccardo Chailly)
2) Concerto pour violoncelle n°1, 1er mouvement (Mischa Maisky, Saarbrücken Radio Symphony Orchestra, direction Leo Siberski)
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3) Concerto pour piano n°2, 2ème mouvement (Kirill Gerstein et Charles Dutoit, NHK Symphony Orchestra)
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4) Quatuor à cordes n°8, 3ème mouvement (Quatuor Kronos)
5) Symphonie n°7 “Leningrad”, 2ème mouvement (Chicago Symphony Orchestra, dirigé par Leonard Bernstein)