Comme les Gymnopédies, les Gnossiennes de Satie sont le cœur poétique de son œuvre et jouent de leur pouvoir hypnotique sur l’auditeur. Elles n’ont toujours pas livré tous leurs secrets…
Le titre des Gnossiennes puise dans l’histoire de la Grèce antique.
Le titre n’est pas inventé par Satie. Les Gnossiens sont les habitants de Gnosse dans la géographie ancienne de la Crète. Ce qui semble avoir plu au compositeur, c’est probablement le rappel de « gnôsis » (connaissance) qui induit chez ce grand mystique que ces musiques de l’âme sont une révélation divine qui permettent une connaissance de soi.
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Les Trois Gnossiennes sont légèrement plus tardives que les Gymnopédies. Elles ont paru dans une revue en 1893 et n’ont été publiées qu’en 1913. Satie a écrit la première et la troisième en 1890 (il a 24 ans) et la deuxième trois ans plus tard. La première est dédiée à Roland-Manuel, la troisième a été orchestrée par Poulenc.
C’est une musique qui semble surgir du silence et y retourner sans troubler le moins du monde la densité de l’air.
Dépouillée, transparente, obsessionnelle, cette musique de Satie a l’air de puiser ses sources dans la sagesse de Socrate et l’esthétisme de Mallarmé. La première est d’un caractère lancinant, la deuxième possède une mystérieuse magie, la troisième est plus capricieuse.
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Satie a supprimé les barres de mesure par souci de mystification, mais les trois pièces sont à quatre temps. Ce sont les indications qui donnent à ces trois diamants leur originalité. « C’est un secret entre l’interprète et moi », a déclaré Satie. Le pianiste s’amuse (ou se creuse la tête) pour savoir comment jouer un passage « très luisant », « sur la langue » ou « très perdu ». L’indication du début de la deuxième – « avec étonnement » – vaut pour toute sa musique. Elle est à rapprocher du fameux « Étonne-moi » lancé par Diaghilev à Cocteau.
Pour Jean-Joël Barbier, ce ne sont pas des accords immobiles mais une musique « qui tourne sur soi-même ».
Si elles sont très simples à déchiffrer, les Gnossiennes de Satie ne sont pas si aisées à interpréter. N’oublions pas que Satie avait une belle sonorité, et que la difficulté consiste à trouver le poids, la chair, en gardant la légèreté et la transparence. À la vérité, il faut se fondre dans cette musique.
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Satie a écrit trois autres Gnossiennes, dans le même esprit, qu’il n’a jamais publiées et qui ont été éditées en 1968. La plus ancienne de toutes est la cinquième (1889). Pas de barres de mesure, mais pas d’indications non plus. Il cherchait encore. La quatrième (1891) ressemble à un pastiche des trois premières. Quant à la sixième (1897) elle a l’air de reprendre une recette passée de mode.
Si le style des Gnossiennes a été maintes fois copié, ou si de grands compositeurs ont avoué s’en inspirer, il semble que Satie a trouvé quelque chose d’unique dont la grâce s’est évanouie avec lui.
Olivier Bellamy