Le Stabat Mater de Pergolèse, la douleur sublimée par la musique

Le Stabat Mater est la partition la plus connue de Pergolèse. Œuvre de commande, le compositeur n’en a choisi ni le texte ni l’effectif vocal et instrumental. Le Stabat Mater appartient par essence à la musique sacrée, mais celui de Pergolèse est pourtant influencé par le style de l’opéra, genre profane par excellence. Un paradoxe qui n’a pas empêché l’œuvre de triompher. Peut-être même y a-t-il contribué.

Dernière œuvre de Pergolèse, le Stabat Mater est achevé dans un monastère des environs de Naples

Le Stabat Mater date de 1736. Pergolèse a 26 ans, et vient d’être nommé organiste surnuméraire de la Chapelle royale de Naples l’année précédente, après avoir été introduit comme suppléant du maître de chapelle. Le succès semble donc lui sourire, en dépit de la maladie pulmonaire qui le tient depuis l’enfance. La confrérie napolitaine des Cavalieri di San Luigi di Palazzo lui commande alors un Stabat Mater (certains musicologues avancent aussi comme commanditaire le duc de Maddaloni, protecteur de Pergolèse). Le compositeur en commence l’écriture à Naples, avant de partir l’achever dans un monastère de capucins à 20 km de là, à Pouzzoles. Il aura tout juste le temps d’y apposer la dernière barre de mesure avant que la mort ne vienne interrompre brutalement sa brillante carrière. Finalement, ses poumons auront eu raison de son talent. Quelques jours avant son décès, Pergolèse désigne un légataire pour cette partition : Francesco Feo, l’un des ses premiers professeurs. Geste de reconnaissance d’un élève à son maître, ou tentative de s’assurer que la partition ne sera pas perdue ?

A lire aussi

 

Le Stabat Mater évoque la douleur d’une mère devant l’agonie de son fils

« La Mère de douleur se tenait debout ». Telle est la traduction des mots « Stabat Mater dolorosa » par lesquels commence le texte. Cette mère, c’est Marie. Dans la religion chrétienne, elle assiste avec beaucoup de courage à la mort de son fils Jésus cloué sur une croix. Le texte du Stabat Mater, en latin, date du XIIIème siècle et est généralement attribué au franciscain Fra Jacopone da Todi. En 10 strophes de 6 vers chacune, il évoque successivement la compassion de la Vierge pour son fils, celle du croyant envers elle, la force de la prière et enfin l’espérance. Mais à travers Marie, c’est tous ceux confrontés aux souffrances d’un enfant, voire sa mort, qui sont concernés. Pas étonnant que le Stabat Mater ait rencontré un tel succès à travers les siècles.

A lire aussi

 

La dévotion aux souffrances de la Vierge est déjà présente en Italie dès le XIIIe siècle, en particulier grâce à l’ordre des Sévites qui s’installe à Florence en 1223. Une liste officielle de 7 douleurs apparaît entre les XIVe et XVe siècles, et le Stabat Mater est alors chanté lors d’une messe spécifique. Au XVIe siècle, probablement à la suite du Concile de Trente, il est plutôt utilisé comme hymne lors du Vendredi Saint. Le pape Benoît XIII décide ensuite en 1727 de le réintégrer à la messe de « Notre Dame des 7 Douleurs ». Cette célébration a lieu aujourd’hui le 15 septembre, mais à l’époque de Pergolèse elle se tenait pendant le Carême.

 

Les voix et les instruments ont sans doute été imposés à Pergolèse lors de la commande

Comme ses deux Salve Regina, le Stabat Mater de Pergolèse se rattache au « petit motet » très prisé à l’époque baroque. Contrairement au « grand motet » de type versaillais, le « petit » présente un effectif et des dimensions plus restreints. Ainsi la partition de Pergolèse ne comprend pas d’ouverture, seulement une introduction instrumentale de quelques mesures. Les chanteurs sont réduits à 2 solistes (soprano et contralto) et l’orchestre à 2 parties de violons, des altos, et une basse continue. Mais cet effectif a certainement été imposé au compositeur. En effet, son Stabat Mater lui a sans doute été commandé pour remplacer celui d’Alessandro Scarlatti. Pergolèse se calque donc sur son effectif, et divise comme lui son œuvre en numéros. Ce principe, issu de la cantate italienne en vogue au XVIIIe siècle, aboutit ici à 7 duos et 5 airs solistes.

A lire aussi

 

Musique sacrée, le Stabat Mater de Pergolèse est pourtant influencé par l’opéra

On connaît le célèbre duo initial. Il doit son succès à sa lente ascension vers l’aigu, ornée de dissonances provoquées par les retards (prolongation de la note sur l’accord suivant, ce qui occasionne un frottement), et soutenue par une basse motorique soulignant l’inéluctabilité. L’effet est poignant et très efficace. Ce principe d’écriture est répété plusieurs fois par les voix, sans compter l’introduction instrumentale.

https://www.youtube-nocookie.com/watch?v=qzOmPUu-F_M?start=52(Emöke Barath, , Philippe Jaroussky, Orfeo 55, dir. Nathalie Stutzmann)

 

Mais si ce premier numéro exprime bien le caractère sacré de l’œuvre, d’autres pourraient aussi bien figurer dans un opéra. Ainsi les airs « Cujus animam » ou « Quae moerebat », porteurs d’une grande tension dramatique dans un tempo rapide. Beaucoup plus mélancolique, le « Vidit suum dulcem » n’en est pas moins imprégné de l’influence théâtrale. La richesse harmonique de son accompagnement contribue à le rendre expressif.

Contrairement à l’opéra, la musique sacrée se joue sans décor ni costume. Dans le Stabat Mater, il n’y a pas non plus de péripéties haletantes, ce morceau étant au contraire par définition un arrêt sur image. Il faut donc trouver d’autres astuces pour relancer l’attention de l’auditeur. Pergolèse va jouer sur les contrastes. Il alterne les duos et les airs. A l’intérieur d’un duo, il n’est pas rare qu’il fasse intervenir les solistes séparément avant de les superposer ensuite, comme dans l’ « Inflammatus ». Il crée aussi des changements d’atmosphère. L’air mélancolique « Eja mater », en ut mineur, est néanmoins emprunt de douceur par ses contours mélodiques et son tempo modéré à trois temps. Le duo « Qui est homo » exhale en revanche toute la souffrance d’une mère désespérée, et termine sur un « Pro peccatis » rapide, sombre et révolté, où les deux voix chantent exactement en même temps (homorythmie). Quelques numéros plus tard, le duo « Sancta Mater » apporte au contraire un allègement bienvenu en Mi majeur, momentanément altéré par une séquence en mineur

A lire aussi

 

Bach, mais aussi Bellini, professent une grande admiration pour le Stabat Mater de Pergolèse

La paternité de nombreuses œuvres attribuées à Pergolèse pendant des siècles est aujourd’hui sujette à caution. Sur « ses » 9 messes, 2 sont sans conteste du compositeur. Même chose pour les 28 motets, dont 7 seulement sont certainement de sa main, 9 autres prêtant à discussion. Mais, contrairement au Requiem, le Stabat Mater est bien de lui. Et notre temps n’est pas le seul à s’enthousiasmer pour cette musique. Déjà au XVIIIe siècle, l’œuvre est une des plus célèbres de son époque. Bach lui emprunte même quelques phrases dans son Psaume 51 BWV 1083 « Tilge, Höchster ».

La douleur de la Vierge est à l’image de tous les parents qui perdent un enfant. Mais la musique transforme la souffrance en chef-d’œuvre. Bellini, au XIXe siècle, appelle ce Stabat Mater le « divin poème de la douleur ».

 

Sixtine de Gournay

 

Plus de Secrets des oeuvres