Le Concerto pour piano et orchestre n°2 de Brahms, une oeuvre de la maturité

Les deux Concertos pour piano de Brahms. Vingt ans les séparent. Si le premier était l’œuvre d’un jeune musicien bouillonnant d’idées, cherchant un équilibre entre le respect de la tradition classique et l’innovation romantique, le second s’inscrit en revanche dans les partitions de la maturité.

Pas de rivalité entre le soliste et l’orchestre. Puissant mais sans lourdeur, profondément optimiste et serein, le nouvel ouvrage révèle l’imagination sans limites du compositeur.

En 1878, Brahms débute les esquisses du concerto qu’il achève trois ans plus tard. Le travail est interrompu à plusieurs reprises. Il est contraint de s’atteler à d’autres pièces plus urgentes dont le Concerto pour violon. Sa notoriété est considérable et il ne peut refuser les prestigieuses commandes qu’on lui passe. Installé à Vienne, il vit magnifiquement de sa musique. Il a abandonné le répertoire lyrique à Wagner (1813-1883), et il dispose désormais des moyens et du temps nécessaires pour composer les pièces qu’il souhaite. Il ne s’est aventuré que tardivement dans l’écriture orchestrale, après avoir accompli un impressionnant catalogue pour le piano, la musique de chambre et le lied. La Première symphonie date de 1876 – il est alors âgé de quarante-trois ans – et l’imbrication du piano dans le matériau symphonique du Second Concerto en est indéniablement marqué.

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L’œuvre offre une orchestration si dense qu’elle mériterait le titre de “concerto symphonique”. Cette qualité de l’accompagnement orchestral s’explique par le fait que le concerto fut achevé entre la composition des Deuxième et Troisième Symphonies. Dans une lettre que Brahms adresse à l’un de ses amis, il évoque non sans humour et pour dissimuler sa fierté « son petit concerto pour piano avec un joli petit scherzo ».

 

Comme pour le Premier Concerto, le public est à nouveau décontenancé par les dimensions imposantes de l’œuvre : près de 3/4 d’heure de musique en 4 mouvements avec,  comme dans la symphonie romantique, un scherzo placé en seconde position.

Le nouvel opus est aussi l’un des plus vastes du répertoire. Enfin, la partition laisse peu de place aux effusions spectaculaires, ce qui est vécu comme frustrant par certains interprètes de l’époque car la technique fait en revanche appel à des moyens pianistiques considérables. Une fois encore, Brahms réserve une place de choix à certains pupitres de l’orchestre et tout particulièrement au violoncelle dans l’andante. Ce dialogue chambriste au sein même du concerto est une trouvaille qui sera dorénavant reprise par de nombreux compositeurs.

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Le Concerto pour piano n°2 en si bémol majeur est créé le 9 novembre 1881 à Budapest, avec le compositeur au piano. Le succès est tel que durant les mois suivants il rejoue la partition à 21 reprises dans de nombreuses villes d’Allemagne.

Le concerto s’ouvre par un Allegro non troppo au calme trompeur. L’ample courbe mélodique de l’orchestre porte le piano, qui entre dès la seconde mesure, contrairement au Premier Concerto. Le thème se développe au cor, puis à la petite harmonie et aux cordes. Il offre au piano son unique cadence avant que l’orchestre ne révèle toute sa puissance. La tension dramatique ne cesse de croître jusqu’à un sommet d’intensité qui déploie l’impressionnante technique du soliste. La réexposition est l’un des passages les plus saisissants de tout le concerto. Alors que l’auditeur imaginait une conclusion en forme d’apothéose, le piano et l’orchestre s’attardent dans un dialogue d’une grande délicatesse.

 

L’influence de Schumann est perceptible dans l’Allegro appassionato, avec son idée du fantastique.

La finesse de l’écriture est tout aussi remarquable dans le mouvement suivant, un scherzo Allegro appassionato en ré mineur. La violence et l’impétuosité romantiques se concentrent dans le premier thème, en opposition avec le second dont le chant est presque plaintif. Le deuxième thème est de nature plus angoissée et plaintive. La superposition des climats et des tonalités (ré mineur et ré majeur) est un exercice d’écriture virtuose qui demanda à Brahms de nombreuses esquisses. Le scherzo, capricieux et enjoué, s’achève sur le retour victorieux du premier thème fougueux.

3ème mouvement du Concerto n°2 (Maurizio Pollini, Orchestre Philharmonique de Vienne, dir. Claudio Abbado)

 

L’Andante débute dans une atmosphère qui nous fait oublier le dynamisme des deux mouvements précédents. Le dialogue avec le violoncelle suggère davantage une pièce de musique de chambre ornementée avec subtilité par le piano. Il prendra parfois l’allure d’un double concerto. Dans la partie centrale du mouvement, Più adagio, les couleurs évoquent un choral liturgique. Ce thème emprunté au lied Todessehnen op.86 n°6 est énoncé aux deux clarinettes. Il traduit un climat contemplatif.

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Avec ce second concerto pour piano, Brahms n’hésite pas à tailler en brèche une certaine tradition de final grandiose

Dans le final, Brahms fait preuve d’audace en contrevenant à la tradition qui consistait à conclure brillamment et avec la plus grande dynamique sonore. Créée deux ans plus tard, en 1883, la 3ème Symphonie ira plus loin encore en s’achevant dans un climat méditatif pianissimo…

Ce final, Allegretto grazioso, fait songer à quelque rondo composé sur un thème d’inspiration presque naïve. Le piano est accompagné des seuls altos. Là encore, l’esprit chambriste s’impose sur la grande forme concertante. Ce thème glisse vers une seconde idée, au parfum à la fois tzigane et hongrois, à la manière d’un Verbunkos, c’est-à-dire d’une danse de recrutement. Brahms a choisi “d’oublier” momentanément la puissance lyrique du piano et de l’orchestre afin de privilégier l’esprit tzigane de ce passage. Un moment plus doux et lyrique permet d’alléger la pâte sonore. La fluidité du discours a été préservée.

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Brahms dédia son Second Concerto pour piano au soliste Eduard Marxens (1806-1887) qui fut l’un de ses professeurs. En privé, Brahms avouait ne pas lui devoir grand chose sur le plan technique et musical, si ce n’est d’avoir mis à sa disposition son immense bibliothèque…

 

Stéphane Friédérich

 

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