GERSHWIN George

(1898-1937) Epoque moderne

Avec le compositeur américain George Gershwin, c’est la première fois au XXe siècle que la musique dite “classique” ou plus exactement savante et de tradition écrite, côtoie aussi délicieusement le jazz, musique d’improvisation et de transmission orale. Le succès est immédiatement au rendez-vous.

George Gershwin en 10 dates :

  • 1898 : naissance à New York
  • 1924 : Rhapsody in blue
  • 1925 : Concerto en fa.
    Gershwin fait la couverture du Time Magazine
  • 1927 : Trois Préludes pour piano
  • 1928 : Un Américain à Paris.
    Gershwin rencontre Maurice Ravel à New York
  • 1931 : sortie du film Delicious, l’un des premiers parlants dont Gershwin a composé la musique
  • 1932 : Prix Pulitzer pour la comédie musicale Of Thee I Sing
  • 1934 : I Got Rhythm
  • 1935 : création de l’opéra Porgy & Bess
  • 1937 : décès à Hollywood.

 

« Voici du bon jazz, mais du mauvais Liszt ! » aurait dit le fondateur des Ballets russes, Serge Diaghilev, en entendant pour la première fois Rhapsody in blue

Un bon mot, qui révèle aussi une certaine incompréhension quant à la nature profonde de la musique de Gershwin. Pianiste, improvisateur et mélodiste de génie, Gershwin est aussi un artiste autodidacte dont la culture musicale classique est restreinte. Il abolit toutefois les frontières entre les genres en créant ce que l’on nomme de manière impropre, le jazz symphonique. En effet, ce n’est assurément pas du jazz et ses œuvres génialement inspirées sont entrées dans le répertoire des grands orchestres !

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Gershwin crée son propre style, cocktail unique de classique, de ragtime, de jazz, de musique populaire et de réminiscences klezmer.

George Gershwin et son frère Ira (1896-1983) – “l’intellectuel” de la famille – n’ont pas connu les grandes conquêtes de l’Ouest américain. Ils sont issus des quartiers pauvres de New York et leur vie est consacrée à l’art de la scène, des théâtres de Broadway aux studios de cinéma d’Hollywood. A l’inverse de leurs parents, des juifs russes émigrés de Saint-Pétersbourg (Gershwin a anglicisé son nom : Jacob Gershovitz), leurs racines sont avant tout celles de la rue. George joue ou, plus exactement, il arrange le répertoire classique teinté de jazz et de ragtime sur des pianos désaccordés. Mais, avec une telle imagination mélodique et une technique pianistique aussi originale, il se fait rapidement des amis de talent : Fred Astaire, Irving Berlin, Jerome Kern…

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Sa musique est à l’image d’une Amérique moderne, où se côtoie comédies musicales et musique savante

Disciple de Charles Hambitzer et d’Edward Kilenyi, lui-même élève d’Ernö von Dohnanyi et de Pietro Mascagni, Gershwin débute sa carrière comme arrangeur et pianiste chargé de promouvoir les chansons d’un éditeur. Improvisateur de génie, il compose des airs pour des comédies musicales dont la chanson Swanee (1919) qui lui assure d’emblée la célébrité.

Du côté du “classique”, le langage harmonique est savant car le musicien autodidacte a étudié les œuvres de Claude Debussy et de Richard Strauss. Tandis que Maurice Ravel, Arnold Schoenberg, Francis Poulenc ou encore le chef d’orchestre Arturo Toscanini admirent la complexité de son écriture.

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Gershwin s’adresse à l’homme de la rue qui peut chanter n’importe laquelle de ses mélodies. Sa musique appartient aux citadins. Elle est à l’image d’une Amérique moderne et il n’est pas étonnant que Woody Allen emprunte Rhapsody in blue pour son film Manhattan (1978). Cette rhapsodie répond dans sa forme originale (1924), moins aux critères du jazz qu’à la musique de variétés. D’ailleurs, la partie de piano fut quasiment improvisée lors de la création. Après cette commande de Paul Whiteman, un autre chef d’orchestre, Walter Damrosch engage Gershwin pour composer le Concerto en fa (1925). La partition connaît un succès aussi grand que Rhapsody in blue et propulse le musicien sur le devant de la scène internationale.

 

La découverte de la musique de Gershwin n’allait pas de soi pour le public américain des concerts classiques. Réputé conservateur, pressé d’accueillir les plus grands interprètes européens, celui-ci attendait la fondation d’un répertoire authentiquement national

Le public découvrit avec étonnement le programme du concert rédigé par le compositeur lors de la création d’Un Américain à Paris, d’un le 13 décembre 1928 : « Présenter les impressions d’un américain visitant Paris, tandis qu’il se promène dans la ville, prêter attention aux bruits des rues et s’imprégner de l’ambiance parisienne ». Vu du côté européen, cette description nous paraît d’autant plus savoureuse, que la musique d’un Américain à Paris symbolise à merveille la vie fébrile de New York ! Un Américain à Paris est la première grande partition de Gershwin dont l’orchestration soit entièrement de sa main, contrairement à la Rhapsody in blue dont l’arrangement avait été confié au compositeur Ferde Grofé (1892-1972).

Gershwin ne cessa jamais de composer pour le piano et les grandes formations. Les Préludes pour piano (1927) au caractère jazzy et blues, que tant de pianistes veulent jouer en “bis” sont destinés à un intermède de concert. En 1931, le chef d’orchestre Serge Koussevitzky lui passa commande de la Second Rhapsody pour piano et orchestre. Elle connut moins de succès que les Variations pour piano et orchestre sur I Got Rhythm (1934).

 

Tout au long de sa brève mais prodigieuse carrière, George Gershwin aidé de son frère Ira, publia près de 500 “songs”

Gershwin consacra de plus en plus son temps à la chanson et aux comédies musicales dont on retrouve une sélection – 18 pièces – dans le célèbre George Gershwin’s Songbook, publié en 1932. Dans les années trente, la fonction première des comédies musicales et de l’opéra consistait à faire oublier la grande dépression et à proposer des spectacles qui faisaient travailler des centaines de personnes durant des mois. Des trente ouvrages pour la scène que Gershwin compose entre 1919 et 1935, le dernier, Porgy and Bess, est assurément le plus célèbre. Il est vrai que les mélodies y sont d’une qualité exceptionnelle. La première d’entre elles, Summertime, s’impose comme l’un des standards du jazz.

« Summertime » de Porgy and Bess, avec H. Blackwell et London Philharmonic, dir. Sir Simon Rattle (adaptation télévisée 1993)

 

Grâce à Porgy & Bess, le spectateur américain est au cœur de l’univers des ghettos noirs. Gershwin montre sans fard l’intensité de la vie d’un tel lieu, la richesse et la bassesse humaine

L’œuvre bouleverse non pas parce qu’elle s’apitoie sur une communauté, mais en raison de la sincérité de l’histoire. Le musicien avait pris le temps d’étudier ce milieu de l’intérieur et d’en comprendre le fonctionnement. La conception même de Porgy & Bess, le découpage des scènes est également d’une profonde originalité. En effet, les chansons les plus célèbres sont parfaitement intégrées à l’action. Il ne s’agit donc pas de “morceaux de bravoure” à l’instar d’airs des partitions véristes italiennes ou d’opéras comiques français.

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La souplesse et la cohérence du livret forment, à n’en pas douter, un réquisitoire contre une certaine société américaine. Et le public, majoritairement blanc, fit un triomphe à Porgy & Bess et à ses interprètes pour la plupart noirs. Il avait compris qu’il s’agissait d’une œuvre majeure qui transposait une réalité sur scène et dont l’expression appartenait pleinement à la culture américaine. Ce fut la naissance d’un chef-d’œuvre et la dernière grande œuvre de Gershwin.

En 1937, Gershwin souffrit de maux de tête de plus en plus violents. Les médecins diagnostiquèrent tardivement une tumeur au cerveau. Il mourut le 11 juillet 1937, à l’âge de 38 ans.

 

Stéphane Friédérich

 

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