Des violoncelles au pied du mur de Berlin

Le 11 novembre 1989, Mstislav Rostropovitch décide de célébrer à sa manière la chute du mur de Berlin en improvisant un récital sur place. Un moment hors du temps, véritable symbole de liberté, dont les images marqueront la fin du XXe siècle. 30 ans plus tard, Gautier Capuçon a rendu hommage à ce geste.

Le récital de Rostropovich décidé en toute hâte

Le jeudi 9 novembre 1989 dans la soirée, lorsque les 1ers pans du mur de Berlin tombent, Mstislav Rostropovitch est tranquillement installé dans son appartement de l’avenue Georges-Mandel à Paris, dans le XVIe arrondissement. C’est le lendemain matin qu’il apprend à la radio et à la télévision ce qui se passe à Berlin. Très vite, il appelle au téléphone son vieil ami Antoine Riboud, président de BSN (futur-Danone), avec lequel il collabore depuis longtemps, notamment pour les rencontres musicales d’Évian qu’il dirige depuis 1985. Sans préambule, « Slava » Rostropovitch demande à l’homme d’affaire de préparer son avion privé. Antoine Riboud lui dit qu’il a tout de même besoin de connaître la destination, ne serait-ce que pour demander l’autorisation d’atterrir. Slava lui répond : «Nous partons pour Berlin.» Et le samedi 11 novembre, deux hommes et un violoncelle s’envolent pour l’Allemagne. Quand il embarque, Antoine Riboud n’a aucune idée de ce qui va se passer, comme l’a confirmé Mstislav Rostropovitch en 1997 au Monde: « Pendant le vol, je n’ai pas dit un mot. J’avais mon violoncelle, je voulais jouer Bach. Pour moi tout seul. Pour remercier Dieu. Antoine était discret. Ce n’est qu’en arrivant qu’il m’a demandé : On nous attend ici ? Non. Personne. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On prend un taxi, et on y va ! Au taxi, j’ai crié : Au Mur ! Où vous voulez ! Je m’en fous !” . Avec le chauffeur, ils décident finalement de se rendre à Check Point Charlie, le point de passage symbolique de l’Est à l’Ouest. Une fois descendu de voiture, Mstislav Rostropovitch sort son Stradivarius-Duport de son étui mais se rend compte qu’il a oublié de prévoir un siège. Antoine Riboud n’hésite pas une seconde. Il entre dans une guérite de gardiens et emprunte la chaise de l’un d’eux qui reste sans réaction. Le violoncelliste s’assoit alors dos au mur et se met à jouer le prélude de la suite n°1 pour violoncelle seul de JS Bach. Au début, devant une poignée de spectateurs qui passaient par là. Au fil des notes, voisins et passants s’attroupent, des journalistes, des photographes et des cameramen se joignent à eux. La plupart ne connaissent pas Rostropovitch, n’ont jamais entendu jouer du Bach. Ils profitent juste d’un moment de grâce qui deviendra, avec le temps, l’une des images fortes de la chute du mur de Berlin et le symbole d’une liberté retrouvée.

 

Gautier Capuçon rend hommage à Rostropovitch, à la paix et à la liberté

 

 

30 ans plus tard, le samedi 9 novembre 2019, jour anniversaire des 1ers coups de marteaux et de pioches qui ont entamé la chute du mur, Gautier Capuçon, à l’invitation de l’ambassade de France en partenariat avec la Fondation du mur de Berlin, s’est installé avec son violoncelle et a joué devant le mémorial, seul endroit où le mur a été conservé intact et dans sa profondeur avec le no man’s land gigantesque entre les 2 murs et un  mirador. Un récital empreint d’émotion et d’espoir au cours duquel le violoncelliste a interprété « Le chant des oiseaux » de Pablo Casals,  « La vie juive » d’Ernest Bloch et la Sarabande 2e suite de JS Bach. Une démarche naturelle pour Gautier Capuçon qui souhaitait simplement « rendre un hommage musical à cet événement et  au geste de Rostropovitch en jouant, moi aussi, quelques notes pour la paix et pour la liberté ».

 

Philippe Gault

 

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