Anne-Claude Crémieux était l’invitée de la matinale de Guillaume Durand. Professeur des universités et infectiologue à l’hôpital Saint-Louis à Paris, elle a estimé qu’Edouard Philippe n’a « pas de stratégie » pour le déconfinement. Il faut à ses yeux « tracer les chaînes de contamination » pour « les casser » et tester tout le personnel des hôpitaux et Ehpad, des « accélérateurs de l’épidémie ».
« La réussite du déconfinement se passe dans les 20 jours qui restent », pour Anne-Claude Crémieux
« Pour l’instant, on a l’impression qu’il n’y a pas de stratégie ». La professeure et infectiologue Anne-Claude Crémieux s’est inquiétée au micro de Guillaume Durand du manque de préparation de la France au déconfinement qui doit passer selon elle par le traçage les personnes malades. « C’est l’enjeu d’aujourd’hui. Le déconfiement marchera si on a repris la main sur les chaines de contamination, que l’on est capable de les tracer et des les casser ». Une stratégie, qui ne permettrait toutefois pas de repérer les personnes asymptomatiques, elles aussi contagieuses. « On a une vraie fenêtre d’opportunités, car aujourd’hui, les gens ont peu de contacts. Par conséquent, tracer les chaînes de la contamination est bien plus facile que cela ne sera le 11 mai. La réussite du déconfinement se passe dans les 20 jours qui restent ».
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Si le gouvernement dit travailler sur une application de traçage, sur la base du volontariat, Edouard Philippe n’en a pas fait un axe central du déconfinement dans son intervention dimanche soir. « C’est quelque chose qui m’a un peu frappée lorsque j’ai écouté le 1er ministre nous parler du après-11 mai. Or, c’est maintenant qu’il faut le préparer. Lorsqu’il y aura des gens dans la rue, des gens dans le métro, de nouveau des gens non-infectés qui vont aller à l’hôpital pour leur pathologie mal-suivies, il faut pouvoir leur assurer qu’il ne rencontreront pas le virus ».
"Tracer les chaines de contamination doit être une stratégie clairement énoncée. Pour l'instant, on a l'impression qu'il n'y a pas de stratégie avant le 11 mai"
Anne-Claude Crémieux, professeure en maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis à Paris
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Un objectif, qui semble hors de portée au vu des chiffres publiés par l’Institut Pasteur, pour qui seulement 6% des Français ont été infectés par le virus. Cette proportion de la population est trop faible pour lui garantir une immunité collective, qui réclame un taux d’infection de 70%.
La nomination de Jean Castex, chargé du déconfinement, est arrivée « trop tard »
Autre enjeu du déconfinement pour Anne-Claude Crémieux, « éteindre les feux là où l’épidémie est un accélérateur de la transmission », comme dans les hôpitaux ou les Ehpad. « Il y a du personnel soignant contaminé, qui se met en danger, qui met en danger ses proches et les patients. Surtout, ce sont des accélérateurs de l’épidémie. On a suffisamment de tests pour faire des dépistages systématiques », a-t-elle assuré, regrettant la démarche actuelle de dépistage se limitant au personnel visiblement souffrant. « Ne dépister que les personnes symptomatiques ne nous empêche pas de laisser le virus circuler ».
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« C’est bien de fixer une date pour le déconfinement, c’est une responsabilité politique et Emmanuel Macron a eu raison de la prendre. Mais l’autre responsabilité, c’est de tout faire pour que l’on soit réellement prêt ».
"On peut espérer qu'il y aura quelqu'un à la tête des décisions stratégiques. C'est bien de fixer une date mais l'autre responsabilité est de tout faire pour être prêt"
Anne-Claude Crémieux, professeure en à l’hôpital Saint-Louis à Paris
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Pour l’heure, c’est le haut fonctionnaire Jean Castex qui a été nommé auprès du 1er ministre pour coordonner le déconfinement. « Malheureusement, il est rentré en lisse il y a seulement quelques jours. C’est trop tard. C’est d’abord une stratégie qui doit clairement être annoncée en haut et mise en oeuvre sur le terrain par l’agence Santé publique France et les ARS ».
« Les enfants de moins de 10 ans ont l’air moins réceptifs à l’infection », selon Anne-Claude Crémieux
Alors que le président de la République avait décidé en guise de 1ère étape du confinement la fermeture des établissements scolaires – les enfants étant jugés propagateurs du virus – c’est par la réouverture des écoles, collèges et lycées que le déconfinement va s’opérer. Pourtant, les scientifiques méconnaissent toujours l’impact du virus sur les plus jeunes.
"On sait que les enfants de moins de 10 ans ont l'air moins réceptifs au virus"
Anne-Claude Crémieux, professeure en maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis à Paris
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« C’est une des grandes questions qu’il nous reste à résoudre. On sait que les enfants font des formes moins graves que les adultes », a indiqué Anne-Claude Crémieux, qui n’a pu déterminer si leur état était dû à une résistance à la contamination ou au développement très majoritaire de formes asymptomatiques, moins dangereuses mais tout aussi contagieuses.
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« La seule manière de le savoir, ce sont des enquêtes de prévalence dans différentes classes d’âges. Ce que l’on sait depuis quelques jours, c’est que les enfants de moins de 10 ans ont l’air moins réceptifs à l’infection que les enfants plus âgés ». Malgré sa parenté avec le Sras, qui fait lui aussi de la famille des coronavirus, le Covid-19 montrerait une capacité à se répandre à travers le monde supérieure à son cousin, qui a sévi au début des années 2000.
Le Covid-19 a profité de l’augmentation du trafic aérien pour se répandre
Une différence, qui s’explique par l’expansion de la mondialisation pour l’infectiologue. « Le Sras a été la prise de conscience mondiale qu’un virus pouvait se diffuser en 24 heures dans l’ensemble du monde. Tout ceci, simplement à cause de l’intensité des voyages aériens. Aucune épidémie des siècles précédents n’avaient diffusé aussi rapidement. Or, entre le Sras de 2003 et le coronavirus de 2020, le trafic aérien a considérablement augmenté, et la Chine, un pays replié en 2003, a beaucoup plus de relations avec le reste du monde ».
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Si pour certains la fermeture de nombreuses frontières pourraient avoir réduit cet écart de contagiosité, reste un facteur qui rend le Covid-19 plus invisible que le Sras.
"Entre le SRAS et le Coronavirus, le traffic aérien a considérablement augmenté ce qui explique la rapidité de transmission. Le Covid est plus difficile à contenir"
Anne-Claude Crémieux, professeure à l’hôpital Saint-Louis à Paris
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« Ce virus est plus difficile à contenir que le Sras, parce qu’il avait une expression de symptômes sévères, les patients étaient rapidement hospitalisés et l’essentiel des contaminations se passaient à l’intérieur de l’hôpital. Alors que là, on a un virus qui donne peu de formes symptomatiques, chez des personnes qui ne se savent pas contaminées ».
Nicolas Gomont