Eric Zemmour et ses propos sur Pétain et les juifs qualifiés de « détournement intellectuel  » par Pascal Ory

Pascal Ory était l’invité de la matinale de Renaud Blanc sur Radio Classique ce lundi 25 octobre. Historien et académicien, il a réagi aux déclarations d’Eric Zemmour sur l’histoire.

La France est un pays « présidentiel » 

Si beaucoup de personnes aujourd’hui parlent de déclinisme dans le pays et ce, autant à droite qu’à gauche, Pascal Ory ne partage pas cette vision. En tant qu’historien, il affirme que cette notion de déclin dans l’Histoire existe depuis la Révolution française. La France est plutôt pour lui, un pays « présidentiel » comparé aux autres pays européens ou occidentaux. Par présidentiel, Pascal Ory fait en fait référence à une France construite sur « des structures bi-polarisantes » ce qui signifie que l’on peut tirer des conclusions très positives de ce modèle politique français et qu’en même temps cela peut parfois rigidifier les conflits. Cette dichotomie ne contribue pas, selon lui, à mobiliser l’opinion puisque l’abstentionnisme est « un phénomène qui n’est pas que français mais qui est particulièrement français ». A propos de la crise sanitaire, dont nous ne sommes toujours pas sortis, Pascal Ory trouve admirable « que le système de santé publique dont on a dit tellement de mal, a résisté et plutôt bien répondu ». Si certains peuvent comparer la période pré-Covid à celle des années 30, l’historien, lui, parle davantage de structures analogues.

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Le Covid-19 et le Brexit : les responsables de la crise européenne ?

Mais la vraie question pour Pascal Ory est surtout la crise de l’Europe. Pour cela il se réfère à deux évènements particulièrement marquants de l’année 2020. Il s’agit tout d’abord de la pandémie de Covid-19 puis du Brexit, qui sont les deux principaux évènements constitutifs de cette crise européenne. L’académicien affirme que « la pandémie est théoriquement la preuve de la mondialisation tandis que le Brexit est la preuve que cela ne génère aucun mondialisme ». Selon lui c’est une erreur de penser que plus la mondialisation est importante, plus il y aura de mondialisme, « il peut y avoir de plus en plus de crises sanitaires et écologiques et de plus en plus de nationalisme » affirme-t-il.

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En effet, dans toutes les démocraties occidentales libérales il existe des éléments de fracture liés au progrès de l’individualisme dit-il, « faire du commun devient de moins en moins une nécessité puisqu’aujourd’hui cela passe par les réseaux sociaux par exemple ». Nous sommes aujourd’hui des « êtres individualistes de masses » et cela résume la situation « au moins de l’occident »  et peut être demain « de la planète ». Selon lui, cet individualisme de masse peut générer des inquiétudes, mais l’historien le rappelle, chaque tendance à des conséquences négatives « on le constate en particulier avec le désengagement des jeunes dans le vote, qui est une conséquence que l’on peut considérer comme étant négative mais il ne faut pas, en même temps, regretter les progrès de cet individualisme qui est quand même synonyme de liberté ». C’est en quelque sorte comme si l’on payait d’un côté, ce que l’on gagne de l’autre.

 

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« Evoquer l’Histoire en politique, une instrumentalisation qui inquiète souvent les historiens »

Au sujet d’Eric Zemmour, qui fait très souvent référence à l’Histoire dans ses propos, l’auteur de « De la haine du juif  » aux éditions Bouquins, répond qu’il y a forcément une « instrumentalisation dans le fait d’évoquer l’Histoire en politique et que cela inquiète souvent les historiens » et ce, quel que soit le camp politique. Il constate qu’Éric Zemmour à souvent tendance à évoquer la période de la Seconde Guerre mondiale dans ses discours, Pascal Ory va même jusqu’à comparer cela à « un discours pétainiste de l’après-guerre » ou à des discours de certains historiens comme Robert Aron qui prônait la thèse du glaive et du bouclier. Cette thèse visant à réhabiliter la mémoire du Maréchal Pétain est une métaphore : le Maréchal Pétain incarnait le bouclier, prêt à collaborer pour protéger la France tandis que le Général de Gaulle frappait, lui, de son glaive l’Allemagne nazie. Pour l’historien, « le consensus des historiens du monde entier aujourd’hui, est de ne surtout pas adopter cette lecture ».  Eric Zemmour part à la base d’une donnée qui n’est pas fausse et qui consiste à dire qu’il y a eu moins de juifs français exterminés et déportés que dans d’autres pays d’Europe. Mais lorsque le polémiste arrive à la conclusion que Pétain a protégé et sauvé des Français de confession juive, peut-on affirmer que cela est un détournement de l’Histoire ? Pascal Ory répond qu’il s’agit surtout d’un « détournement intellectuel ».  L’historien avance que « le Maréchal Pétain était un anti-juif traditionnaliste, il l’a manifesté à plusieurs reprises alors qu’il était assez éloigné de l’antijudaïsme raciste des nazis ». Il rappelle que Pétain a couvert et encouragé la radicalisation de la persécution anti-juive : « la grande responsabilité de Pétain c’est que justement, il n’était pas fasciste et a donc eu une popularité extraordinaire en 1940. Il reste pourtant jusqu’au bout alors que l’Etat de Vichy est en train de devenir un Etat fasciste en 1944 » et ça, « c’est sa responsabilité » clame Pascal Ory.

Ondine Guillaume

Retrouvez l’invité de la matinale