Très rares sont les françaises qui, comme Régine Crespin, ont chanté au festival de Bayreuth. Très rares aussi celles qui ont réussi une carrière lyrique aussi brillante sur toutes les grandes scènes d’opéra, de Paris à Milan, de New York à Buenos Aires. Celle de Régine Crespin est lancée par son succès à Bayreuth en 1958 dans le rôle de Kundry de Parsifal. Ses enregistrements de mélodies restent des références, telles Les Nuits d’été de Berlioz en 1963. Régine, « l’autre » comme elle disait avec humour à l’époque où la plus connue était celle qui régnait sur le club parisien le plus sélect, reste à ce jour la plus grande soprano de l’histoire de l’art lyrique français.
Régine Crespin en 10 dates :
- 1927 : Naissance à Marseille
- 1947 : Études au Conservatoire de Paris
- 1951 : Début à l’Opéra de Paris dans Lohengrin
- 1958 : Début à Bayreuth dans Parsifal
- 1962 : Début au Met de New York dans Le Chevalier à la rose
- 1967 : Brünhilde de La Walkyrie à Salzbourg avec Karajan
- 1982 : Publication de la première partie de ses Mémoires
- 1989 : La Dame de pique à l’Opéra de Paris (dernière apparition scénique)
- 1990 : Adieux à Paris
- 2007 : Mort à Paris
Montée de Nîmes à Paris pour tenter le Conservatoire, elle intègre la classe de chant de la prestigieuse institution
Née à Marseille, Régine passe sa jeunesse à Nîmes où son père tient un magasin de chaussures. Elle apprend le piano puis le chant et se présente au conservatoire de Paris où elle est admise pour la rentrée 1947. Elle obtiendra plusieurs premiers prix dont celui de chant et débutera sur scène en province, en 1950, car l’Opéra de Paris ne l’engage pas immédiatement. Début d’une relation compliquée…
Elle débute à l’Opéra de Paris dans Lohengrin
Après l’avoir chanté à Mulhouse, Régine est tout de même engagée pour Lohengrin à l’Opéra de Paris, avec André Cluytens au pupitre. C’est lui qui l’introduira à Bayreuth. Les critiques sont élogieuses, mais encore dubitatives sur une carrière wagnérienne. Elle n’est pas réengagée par le nouveau directeur de l’Opéra de Paris, mais ses successeurs l’appelleront entre 1955 et 1958 pour chanter Verdi et Richard Strauss. En 1957 elle participe à la création parisienne du Dialogues des Carmélites de Poulenc, dans le rôle de Madame Lidoine, la seconde Prieure.
Le festival de Bayreuth la consacre wagnérienne sous la direction de Hans Knappertsbusch
Régine Crespin a chanté Parsifal quatre années consécutives à Bayreuth, de 1958 à 1961. La dernière année elle chante aussi Sieglinde de La Walkyrie. Dans ses Mémoires (À la scène, à la ville, Actes Sud, 1997), elle raconte son travail de préparation et son apprentissage de la langue allemande, qui lui a permis de rencontrer son futur mari. Elle confie aussi que lors de sa première de Parsifal, elle commit une petite erreur de texte qui n’échappa pas au chef d’orchestre Hans Knappertsbusch. Du coup il ne manqua pas lors des représentations suivantes de lui faire un signe de connivence au moment fatidique ! Quelques années plus tard, Karajan l’engagera pour Brünnhilde dans La Walkyrie, enregistré d’abord à Berlin puis représenté au festival de Pâques de Salzbourg.
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Berlioz, Debussy ou Poulenc, les mélodies françaises lui vont à merveille
Après plus de dix années sur scène dans les grands rôles du répertoire lyrique, Régine Crespin se tourne vers les mélodies de Berlioz, Debussy, Ravel et Poulenc et démontre ses qualités de diction et d’interprétation qui deviendront la référence idéale pour cette forme musicale. Ses Nuits d’été sont considérées comme exemplaires, pourtant sa voix n’était pas alors celle d’une mezzo ainsi qu’il est plutôt recommandé pour ces airs de Berlioz. Mais plus tard, chantant Carmen de Bizet, sa voix s’en rapprochera, jusqu’à terminer en alto pour La Dame de pique de Tchaïkovsky.
New York et San Francisco lui offrent ce qu’elle ne trouve pas à Paris
Après de sérieux ennuis de santé, heureusement surmontés, elle remonte sur scène au Met de New York, où elle avait triomphé en 1962 dans Le Chevalier à la rose. Après cette Carmen sur les planches de la Grosse Pomme, on la voit à San Francisco pour La duchesse de Gerolstein d’Offenbach. C’est dans cette ville de Californie qu’elle se sentira le mieux et reviendra souvent, y compris pour enseigner et donner des masterclass. A Paris, ses relations avec la direction de l’opéra ne sont pas bonnes. Cela se terminera mal lorsqu’on lui refusera en 1992 le poste de direction de l’école de chant, qu’elle souhaitait… et qui lui avait été promis.
Des adieux émouvants après une vie d’artiste bien remplie
Elle monte encore une fois sur scène à Paris en 1989, dans le rôle de la Comtesse de La Dame de pique. Puis fait ses adieux l’année suivante, lors de cérémonies au Théâtre des Champs Elysées et à l’Opéra Garnier. L’âge de la retraite sonne aussi au conservatoire de Paris, où elle a enseigné dix-sept ans. Elle complète alors la rédaction de ses Mémoires, dont la première partie avait été publiée dès 1982. Malgré tous les honneurs et les décorations, Régine Crespin exprime une certaine amertume à l’égard de son pays, qu’elle aurait souhaité plus ouvert à ses projets artistiques. Elle est décédée en 2007. En 2011, la Fondation Long-Thibaud ajoute une édition chant à son Concours international. Les concours Marguerite Long (piano) et Jacques Thibaud (violon) alternent donc dorénavant avec un volet consacré chant, le Concours Régine Crespin, qui couronne désormais des lauréats de moins de 30 ans tous les trois ans.
Philippe Hussenot