L’intrigue de La Traviata, opéra créé en 1853, n’est pas en adéquation avec les autres thèmes joués à l’époque. Avilissement des mœurs, thèmes obscurs – de la maladie en passant par la prostitution – le tout sous couvert de condamnation sociale, l’histoire de la Traviata reste aujourd’hui une source d’inspiration, notamment pour le cinéma.
L’HISTOIRE : Le drame romantique vu par Verdi
Le drame se déroule à Paris, à l’aube des années 1850. Violetta Valéry, « la dévoyée » (Traviata en italien – Ndlr) donne une réception dans ses appartements. Parmi les convives, Alfredo Germont, un jeune bourgeois, s’éprend de Violetta. Mais atteinte de la maladie du siècle, une tuberculose pulmonaire nommée phtisie, la courtisane sait que ses jours sont comptés. Alfredo déclare sa flamme à sa bien-aimée. Loin d’être insensible au jeune homme, elle croit finalement en leur amour. Les deux amants quittent la capitale pour s’installer aux alentours, dans leur nouvelle maison de campagne. Alfredo apprend par Annina – la femme de chambre – que Violetta souhaite vendre chevaux, voitures et tout ce qu’elle possède afin de subvenir à ses dépenses. Alfredo se rend sans délai à Paris afin d’éponger les dettes de sa bien-aimée. Violetta est alors seule lorsque Giorgio Germont, le père d’Alfredo lui rend visite et la presse de mettre fin à leur relation. En effet, la relation de son fils avec la demi-mondaine aux origines modestes est jugée, par son beau-père, incompatible avec le mode de vie et les bonnes mœurs de la bourgeoisie. Leur union jetterait le discrédit sur la famille Germont et empêcherait de surcroît, le mariage de la sœur d’Alfredo. C’est à contrecœur que Violetta accepte ce sacrifice et fait remettre une lettre de rupture à son amant. Alfredo ignore tout de cette entrevue et rejoint Violetta à une soirée chez son amie Flora. Aveuglé par la colère et l’incompréhension il l’humilie publiquement. Giorgio Germont lui-même condamne l’indécence de son fils. Mais par amour, la courtisane lui pardonne. Violetta souffrante se retrouve alors alitée dans sa chambre. Elle y relit l’épître de son beau-père qui lui confie avoir tout avoué à Alfredo et l’informe que celui-ci passera lui rendre visite dès son retour de l’étranger. Il ne lui reste pourtant plus que quelques heures à vivre. Alfredo parvient à rejoindre Violetta et les deux amants tombent dans les bras l’un de l’autre. Mais la Traviata, affaiblie, rend son dernier souffle quelques instants après ces retrouvailles. Et pourtant, au dehors, la fête bat son plein, c’est un jour de carnaval…
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LA MUSIQUE : Le profil vocal de Violetta répond à une conception totalement à part dans la littérature musicale
Ce n’est pas anodin si La Traviata est l’un des opéras les plus populaires au monde. Du Libiamo ne’ lieti calici au célèbre soliloque Sempre libera, nombreux sont les arias notables de ce drame lyrique. Mais quelle est la recette d’un tel succès ? Verdi a misé sur une composition musicale extrêmement simple, mais dont le but est d’être facilement mémorisable. Pour cela, le compositeur joue sur l’alternance des thèmes et des suspenses musicaux : c’est ce qui crée cet effet de demande. Le public en veut encore et encore. En revanche tout n’est pas aussi simple que cette écriture musicale. Le profil vocal de Violetta par exemple, répond à une conception totalement à part dans la littérature musicale, peut-on lire dans Tout Verdi (éd. Robert Laffont), sous la direction de Bertrand Dermoncourt. Verdi a pensé ce personnage comme étant capable de posséder 3 tessitures, rien que cela. La difficulté est donc de pouvoir trouver une interprète possédant de grandes caractéristiques vocales clivantes et même antinomiques. Dans l’acte I, il s’agit de posséder un timbre brillant destiné principalement aux sopranos légers. A contrario, dans l’acte II, la chanteuse doit être en capacité de retranscrire l’antagonisme entre Violetta et Giorgio Germont. Pour pouvoir tenir tête à cette voix de baryton, la donna di prima forza comme disait Verdi, doit donner une dimension sacrificielle et se destine davantage à une soprano dramatique (voix la plus grave des sopranos – Ndlr). Cet organe d’une grande ampleur doit enfin s’alléger lors de l’acte final : lorsque Violetta se consume petit à petit. Le choix se portera de facto, sur une actrice particulièrement délicate et capable de témoigner d’une grande sensibilité.
L’orchestration n’est pas en reste dans La Traviata et y joue même un rôle majeur : ce qui n’est pas dicible avec les mots est exprimé par les instruments. C’est le cas par exemple de la lecture de la lettre destinée à Alfredo. L’expressivité de la scène est intégralement à la charge de l’orchestre. La Traviata s’inscrit avec Le Trouvère et Rigoletto dans un triptyque musical, la « Trilogia popolare ». Le compositeur y explore un genre opératique nouveau, bien loin de ceux en vogue à l’époque, basés sur la mythologie gréco-romaine. Il s’agit là d’un drame bourgeois : avilissement des mœurs, thèmes obscurs – de la maladie à la prostitution – le tout sous couvert de condamnation sociale. Verdi ouvre la porte au vérisme, à l’instar du naturalisme chez Zola, il met en lumière des personnages ordinaires et de la vie quotidienne du XIXe dont Violetta est l’archétype.
LES INSPIRATIONS : D’Alexandre Dumas à Pretty Woman
Le livret est en fait adapté de la pièce La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils. L’écrivain s’inspire de sa propre histoire dans laquelle la protagoniste principale n’est autre que son ancienne maîtresse : la courtisane Marie Duplessis (à qui l’on prête également une liaison avec Franz Liszt). Mais cette intrigue fait par ailleurs écho à la vie de Giuseppe Verdi. Veuf depuis plusieurs années, il partage, à cette époque, la vie de la cantatrice italienne Giuseppina Strepponi – que l’on prétendait de petite mœurs – mais qui deviendra, malgré tout sa seconde épouse. Cette cohabitation extraconjugale est perçue d’un mauvais œil au XIXe siècle. Verdi fait donc appel à son librettiste Francesco Maria Piave pour dresser une critique sociétale en musique.
S’il s’attaque à un sujet contemporain, le compositeur doit parer la censure vénitienne. Lui qui souhaitait faire jouer ses interprètes en costume moderne, se voit contraint d’opter pour l’anachronisme, en transposant sa pièce au XVIIIe siècle. Mais la modernité d’un tel sujet a inspiré de nombreuses intrigues, particulièrement d’ailleurs, dans le 7ème art. Toutes ressemblances avec le synopsis de Moulin Rouge ou encore Pretty Woman ne sauraient être fortuites. Et si le clin d’œil est trop subtil dans Pretty Woman, il suffit de relever la mise en abyme de Garry Marshall : l’opéra auquel assiste Edward et Vivian dans le film, n’est autre que, vous l’avez deviné… La Traviata !
Ondine Guillaume