La Sonate “Appassionata” de Beethoven : un défi d’endurance pour les pianistes

Incontournable du répertoire pour piano, la Sonate Appassionata de Beethoven exige une grande endurance de l’interprète. Elle déborde d’énergie, qui doit cependant être canalisée pour mieux faire ressentir sa portée dramatique. Exploration de l’espace sonore et des contrastes, elle témoigne des recherches du compositeur quant aux possibilités du clavier.

La date de composition de la Sonate “Appassionata” demeure incertaine

1804, 1805 ? Beethoven consacra une grande partie de l’année 1804 à la composition de son opéra Fidelio. A la même époque, il mit en chantier plusieurs autres pièces dont la Quatrième Symphonie et trois sonates pour piano. Celles-ci se révèlent aujourd’hui d’une importance considérable dans l’histoire du répertoire de l’instrument. La trilogie se compose de la Sonate op.53 dite “Waldstein”, puis de l’opus 54 et enfin de la fameuse “Appassionata”. Toutes ces partitions, jaillies du même élan, se sont nourries de leurs écritures réciproques. En effet, Beethoven travaillait simultanément, chaque oeuvre stimulant son imagination pour de nouvelles expérimentations sonores. Elles profitaient indistinctement au piano, à la musique de chambre ou bien à l’écriture orchestrale.

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La création fut un fiasco à Vienne, alors occupée par les troupes françaises. L’œuvre ne prit le nom « d’Appassionata » que dix ans après la mort du compositeur.

Comme dans toutes ses partitions pour piano, Beethoven innove dans une direction précise. Dans celle-ci, il s’intéresse à l’espace sonore et aux contrastes. Est-ce pour cette raison que son Allegro Assai s’ouvre par une sorte d’interrogation dans les basses ? Celle-ci expose d’emblée le dilemme de l’artiste et de la condition humaine. Ce sont des masses sonores qui se heurtent, des dynamiques qui s’entrechoquent dans une tonalité – fa mineur – considérée comme porteuse de tragédie. Les premières mesures sont jouées pianissimo aux deux mains à l’unisson. Beethoven amplifie le mystère et l’inquiétude de cette voix grâce aux répétitions, trilles et trémolos. Il ajoute des motifs obsessionnels qui préludent déjà à la Cinquième Symphonie. Le développement inspire des modulations, des transformations, les combinaisons les plus variées. Le piano fourmille d’idées au point que la structure même de l’œuvre s’en trouve mise en péril, proche de la désintégration.

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La virtuosité et l’endurance du pianiste sont amplement sollicitées, et chaque nouvelle idée ajoute un élément de complexité qui ne doit pas altérer la progression dramatique.

Après un paroxysme sonore, l’Allegro assai s’achève pianissimo, aux frontières du silence. Un thème, suivi de trois variations et de la reprise du thème, composent l’Andante con moto. La construction est resserrée, rythmiquement rigide dans la première exposition. Par contraste, la première variation désarticule les accords et la suivante libère le flot de la mélodie qui occupe alors tout l’espace. Les ornements s’ajoutent dans la troisième variation et l’utilisation progressive de tous les registres du piano révèle de nouvelles tensions. Le final est directement enchaîné.

Final de la Sonate Appassionata (Daniel Barenboim)

 

« Il faut se représenter les vagues d’une mer déchaînée lors d’une nuit de tempête » aurait affirmé Beethoven, au compositeur et pianiste Carl Czerny.

L’Allegro ma non troppo s’appuie sur les accords dissonants du mouvement précédent. Après le déferlement des accords répétés en cascade, le rythme implacable ordonne le mouvement. Ce flot sonore continu exacerbe les contrastes et les passions avant quelques mesures de répit. L’énergie qui était canalisée se trouve à nouveau libérée. Elle provoque des trépidations, des martèlements de notes inédits dans l’écriture du piano. Trois accords concluent cette tempête.

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La date précise de la création de cette sonate nous est inconnue. Toutefois, on sait qu’elle fut jouée en privé de manière originale par la pianiste française Marie Bigot qui vivait à Vienne. Découvrant le manuscrit de la Sonate en piteux état car Beethoven était arrivé sous une pluie battante, elle la déchiffra de manière si convaincante que le compositeur lui offrit aussitôt la partition. Il se lia d’amitié avec cette femme de caractère et de grand talent. Marie Bigot légua le manuscrit à la Bibliothèque nationale de Paris. La sonate est dédiée au comte Franz von Brunsvik. Elle fut éditée en 1807.

 

Stéphane Friédérich

 

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