BERG Alban

(1885-1935) Epoque moderne

Comme Ravel ou Dutilleux, Berg a composé des œuvres absolues. Un catalogue aussi mince qu’essentiel, même si l’hétérogénéité du matériau a contribué à ce que les compositeurs sériels de l’après-guerre l’écartent au profit de Webern, plus « pur » et paradigmatique. Là où ce dernier érige l’épure et l’économie au rang d’idéal, Berg n’hésite pas à réunir les contraires, voire à transgresser les règles. Pour lui, le dodécaphonisme fut une méthode, pas une doctrine.

Alban Berg en 10 dates :

  • 1885 : Naissance à Vienne
  • 1900 : Mort de son père
    Commence à composer ses premiers lieder
  • 1904 : Devient élève d’Arnold Schoenberg
  • 1908 : Sonate pour piano op. 1
  • 1913 : Arnold Schoenberg dirige la création des Altenberg Lieder au Musikverein, dont le caractère expérimental choque le public
  • 1915 : Trois Pièces pour orchestre op. 6
  • 1917 à 1922 : Wozzeck, opéra d’après la pièce de Georg Büchner
  • 1926 : Suite lyrique pour quatuor à cordes
  • 1929 à 1935 : Lulu, opéra (inachevé) d’après des œuvres de Frank Wedekind
  • 1935 : Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange »
    Mort à Vienne

 

Berg rencontre Arnold Schoenberg en 1903, qui deviendra son unique professeur

Tenaillée au début entre la poésie et la musique, la vocation d’Alban rappelle celle de Schumann. A l’initiative de son frère, il rencontre en 1903 celui qui deviendra son (unique) professeur jusqu’en 1911 : Arnold Schoenberg. Parmi les quelques 80 Lieder qu’il a pu lui soumettre, sept seulement seront retenus au catalogue à travers l’instrumentation du recueil Sieben frühe Lieder. Mais c’est la Sonate en si mineur pour piano qu’il juge digne de figurer comme son premier opus. Le jeune homme de 23 ans compose alors sous la férule de son maître un mouvement de sonate d’une dizaine de minutes ayant valeur de pédigrée : le style post-romantique et le ton passionné révèlent les influences de Schumann, Wagner et Brahms. Pour un premier essai dans le genre, c’est une réussite, même si rien ne laisse augurer les progrès fulgurants accomplis dès le Quatuor op. 3 et les ineffables Altenberglieder dont l’orchestration, riche en modes de jeu et effets inusités, fait scandale à la création… et lui vaut les réprimandes de Schoenberg. S’ensuit une période de tension entre les deux hommes, l’auteur des Gurre-Lieder reprochant également aux Trois Pièces pour orchestre leur style rhétorique et leur propension à la nouveauté.

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Berg rencontre Hanna Fuchs, l’épouse d’un riche industriel, dont il tombe amoureux

Retenu jusqu’en 1918 par ses obligations militaires, l’élève renoue avec le maître à la faveur des nombreux travaux de transcription et d’intendance que nécessite la Société d’exécutions musicales privées. La partition de Wozzeck, d’après la pièce éponyme de Büchner, est complétée en 1922, mais il faudra attendre 1925 pour la création (après pas moins de 137 répétitions !) au Staatsoper de Berlin sous la direction d’Erich Kleiber. Le retentissement est considérable tant l’œuvre renouvelle le genre tout en se référant aux formes anciennes (passacaille, thème et variations, etc.) dont Berg dramatise la portée en associant leur structure à la psychologie des caractères.

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1925 est aussi l’année de la rencontre avec Hanna Fuchs, l’épouse d’un riche industriel praguois dont il tombe éperdument amoureux, sans jamais s’en ouvrir ni rompre avec Hélène. A sa bien-aimée lointaine, Berg écrit des lettres secrètes qu’il fait remettre par l’entremise de personnes de confiance, tels Franz Werfel, Theodor Adorno ou Alma Mahler. Sa Suite lyrique pour quatuor à cordes se veut d’ailleurs une déclaration d’amour cryptée – un « opéra latent » (Adorno) – à Hanna. Si sa vie sentimentale le plonge dans d’infinis tourments, ainsi qu’en témoigne leur correspondance (« Ce qui me plaît en toi ?… Tout, depuis ta tête dorée jusqu’à tes talons roses.  »),  la reconnaissance publique arrive. Sollicité pour de nombreux jurys d’examens, sa musique jouée sur les principales salles européennes, Berg n’oublie pas de se faire plaisir en s’offrant une Ford décapotable et une vieille bâtisse dans la région du Wörthersee, grâce notamment aux royalties de Wozzeck.

« Die Nachtigall », extrait des 7 frühe Lieder (Jessye Norman)

 

Sa dernière œuvre achevée, certainement la plus romantique, est le Concerto pour violon « A la mémoire d’un ange »

Le sujet de Lulu, quant à lui, ne s’est pas imposé avec la même évidence : Hauptmann et Hofmannsthal hantent un temps son esprit, mais Wedekind finit par emporter la mise malgré les réticences d’une partie de son entourage, Schoenberg en tête, flétrissant le scabreux du sujet. Composé d’après le sérialisme mis au point par Schoenberg en 1923, ce second opéra fait montre d’un goût pour la prolifération (plusieurs séries sont déduites d’une série matricielle) qui en ralentit le rythme de travail. Aussi notre Viennois, grand amateur de Baudelaire, s’offre-t-il une « récréation » avec l’air de concert Der Wein (Le Vin), d’après cinq poèmes des Fleurs du mal. Sa dernière œuvre achevée (en quelques mois seulement), certainement la plus romantique, est le Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange », portrait musical de Manon Gropius – fille d’Alma Mahler et du fondateur du Bauhaus -, morte tragiquement à l’âge de quinze ans. A-t-il également la prescience de sa fin prochaine ? En tout état de cause, cette célérité au travail, peu coutumière de sa part, semble un signe. Au commanditaire, le violoniste Louis Krasner, Berg écrit : « il faut dire que je me suis appliqué plus que jamais dans ma vie et qu’en plus ce travail m’a procuré sans cesse plus de joie ». Mais il n’entend pas la création de son ultime chef-d’œuvre le 19 avril 1936 à Barcelone et ne peut mettre un terme au troisième acte de Lulu : atteint d’une affection sanguine, le benjamin de la trinité viennoise s’éteint la nuit de Noël 1935, à tout juste cinquante ans.

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« Le seul d’entre nous qui aurait pu prétendre au succès de son vivant » : dans cet extrait d’une lettre adressée à Webern peu après la mort de Berg, Arnold Schoenberg, lucide, reconnaît à son ancien élève une faculté qui fait – et fera – irrémédiablement défaut aux deux survivants de l’Ecole de Vienne : celle de rallier tous les suffrages.

 

Jérémie Bigorie

 

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