Le trompettiste de jazz américain réagit à l’annonce par les responsables du temple de la musique new-yorkaise de la programmation lors de la saison 2021-2022 de son opéra « Fire shut up in my bones ». Ce sera la première fois, depuis sa création il y a 136 ans, que le MET de New York proposera l’opéra d’un compositeur afro-américain.
Terence Blanchard: « C’est quelque chose d’énorme, surtout vu d’où je viens »
« Cette annonce dépasse ma personne et en dit plus long sur ce qu’il se passe dans notre pays, et dans le monde de l’art. J’ai le sentiment que cela va être quelque chose d’historique, et pas parce que c’est moi » a confié le musicien de 57 ans, récompensé 11 fois aux Grammy Awards et nommé aux Oscars. Trompettiste renommé, compositeur de nombreuses bandes originales du cinéaste Spike Lee, Terence Blanchard, qui vient de recevoir à Washington un prix pour son oeuvre, au Herbie Hancock Institute of Jazz Competition & Gala avoue avoir ressenti un « mélange d’émotions » lorsque l’annonce de cet opéra a été rendue publique. « Même si c’est un véritable honneur, nous savons tous que je ne suis pas le premier compositeur afro-américain qualifié à faire un opéra. Personnellement, c’est quelque chose d’énorme, surtout vu d’où je viens », confie le jazzman de la Nouvelle-Orléans, en décrivant la ségrégation raciale à laquelle son père, musicien en herbe, a été exposé. « De partir de ça– une personne qui n’a jamais eu l’opportunité de chanter de l’opéra, qui n’a pas eu d’opportunités – et que son fils tout d’un coup ait un opéra produit au Met, c’est énorme. » La nouvelle est tombée alors que l’institution lançait « Porgy and Bess » de George Gershwin, un opéra centré sur la vie d’Afro-américains, mais écrit par des Blancs.
« Fire Shut Up In My Bones », le 2e opéra écrit par Terence Blanchard (après Champion en 2013) sur un livret de Kasi Lemmons, est inspiré des mémoires de l’éditorialiste du New York Times Charles Blow. L’ouvrage raconte le passage à l’âge adulte d’un garçon noir dans le sud des États-Unis, face au racisme, les violences et une identification sexuelle complexe. « Composer pour des histoires si difficiles demande de mettre son ego de côté et laisser les notes sortir de soi », explique le trompettiste, également auteur de la bande originale du biopic d’Harriet Tubman (« Harriet ») qui a aidé des centaines d’esclaves à fuir le sud des Etats-Unis au XIXe siècle. Le nouvel opéra de Terence Blanchard a été joué pour la 1ère fois en juin dernier, à guichets fermés, à Saint-Louis. À New-York, il sera dirigé par Yannick Nézet-Séguin, le directeur musical du Met.
Terence Blanchard: « Le cinéma m’a beaucoup aidé à écrire pour l’opéra »
Terence Blanchard peut aussi se vanter d’avoir joué avec les plus grands musiciens américains: Herbie Hancock, Dr. John, Stevie Wonder. Sa longue amitié avec le cinéaste Spike Lee l’a « fait grandir d’une façon qu'(il) n’aurai(t) jamais pu imaginer. Il a un style cinématographique unique », dit M. Blanchard au sujet du réalisateur oscarisé, connu pour « Do the Right Thing », « Malcom X », ou « BlacKkKlansman », dont le jazzman a signé la bande originale. « Le cinéma m’a beaucoup aidé à écrire pour l’opéra, parce que j’ai eu la chance d’écrire pour un orchestre« , indique l’artiste. Habitué à jongler entre différents projets, le musicien affirme qu’il est important de « ne pas se limiter. Je veux quitter cette planète sans regrets. Et pour moi, les regrets prennent racine dans la peur (…) Pour surmonter ses peurs, il faut sortir et prendre des risques ».
Philippe Gault (avec AFP)