Le ténor Roberto Alagna participe le 10 décembre à la nouvelle saison de Be Classical à la salle Gaveau, un évènement destiné à vivre le concert autrement, à lui donner une nouvelle identité et une autre dimension associant une scénographie de lumière. Ce lundi 6 décembre, il se confie au micro de Laure Mézan.
Roberto Alagna : « la voix est faite pour toucher le plus grand nombre »
Roberto Alagna, le concert, le récital, vous l’avez vous-même souvent repensé, vous l’avez fait éclater, ne serait-ce qu’en vous échappant du classique et en collaborant avec des artistes venus d’autres univers. On peut être et on doit être selon vous, créatif, inventif, audacieux en récital ?
Oui, il faut essayer de toucher le plus grand nombre. C’est la mission des artistes. Vous savez, quand vous recevez un peu ce don de la nature qu’est la voix, elle est faite pour toucher le plus grand nombre. C’est ce que j’ai essayé de faire en touchant plusieurs répertoires et c’est ce que j’aime à chaque fois : proposer de nouvelles choses.
Qu’est-ce représente pour vous le concert ? C’est un moment d’échange avec le public que vous regardez dans les yeux ?
C’est une communion avec le public où l’on partage des émotions. La musique transmet des émotions et c’est la voix qui va toucher le public. Le public va vous renvoyer aussi cette émotion. C’est une sorte d’énergie que nous partageons ensemble. C’est un moment, une sorte de besoin que d’aller vers l’autre.
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Ce récital du 10 décembre sera placé sous le signe du théâtre. Même sans costumes, sans mise en scène, peut-on restituer cette démarche théâtrale, cette force dramatique en récital ?
C’est la musique qui sublime tout. Ces compositeurs ont été influencés par la littérature, par le théâtre, par des auteurs, et la musique a sublimé souvent le texte, l’histoire. Quand on cite Tosca de Victorien Sardou, et ce que Puccini en a fait, ou Madame Butterfly de Belasco, on pense plus à l’opéra qu’à la pièce de théâtre parce que ces œuvres ont été sublimées par la musique. Je pense qu’on n’a besoin d’aucun accessoire. Tout passe par la musique, par le texte et la voix et bien sûr l’orchestre.
Parmi les personnages que vous incarnerez Roberto Alagna, il y a celui de Cyrano de Bergerac à travers l’opéra de Franco Alfano, que vous avez incarné sur quelques grandes scènes, de Montpellier jusqu’au Métropolitain Opéra. Une production qui a fait l’objet d’un DVD. C’est un personnage qui a beaucoup compté pour vous ?
Énormément. En tout cas, pour nous, Français, on retrouve tous les personnages de la littérature dans Cyrano, aussi bien Don Quichotte que d’Artagnan et Les Trois Mousquetaires. Tout le monde passe par là. C’était très important et c’est vrai que ce personnage a énormément compté pour moi. On prépare d’ailleurs une petite surprise puisqu’on va utiliser en ouverture un extrait de la musique du film de Jean-Paul Rappeneau avec le grand Gérard Depardieu.
Le théâtre sera à l’honneur du récital Be Classical
Et justement, lorsque vous chantez Cyrano de Bergerac, est ce que vous pensez à ces grands acteurs ? Vous citiez Gérard Depardieu, mais pensez-vous à tous ces grands acteurs qui l’ont incarné sur scène ou au cinéma ?
Je vais vous raconter une petite anecdote. Lorsque je l’ai chanté au Metropolitan, j’ai reçu une lettre, une gentille lettre et ensuite la dame est venue me voir. C’était la fille de José Ferrer. Il a été un grand Cyrano, et elle m’a félicité. José Ferrer parlait le Cyrano et moi, je le chantais. Je l’ai aidé à retrouver un peu du panache de son père dans ce que j’avais fait au Metropolitan et ça m’avait énormément touché.
Ce récital réunit des airs extraits d’opéras qui sont eux-mêmes inspirés de grandes pièces de théâtre d’Edmond Rostand, de Shakespeare ou encore de Corneille. Cela donne une dimension particulière à un ouvrage, lorsqu’il a été rédigé par un grand auteur de théâtre, même si le livret a été écrit par un autre ?
Oui, bien sûr. Vous savez que j’accorde énormément d’importance au texte. C’est pour ça aussi que je soigne souvent la diction, pour que le public comprenne bien le message que je délivre, parce que le texte est fondamental. C’est ce qui a inspiré le compositeur. Et là, ce sont de grands textes. C’est ce qui m’a inspiré aussi avec mes frères lorsqu’on a fait Le Dernier jour d’un condamné. J’ai été frappé par ce texte de Victor Hugo et en lisant, j’entendais la musique.
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« Mettre de la musique en boîte c’est bien, mais la vivre en vrai c’est mieux ! »
C’est un programme qui s’annonce intense, dramatique. C’est la première fois que vous donnerez ce programme sur scène ?
Oui, c’est la première fois puisqu’on m’a demandé un thème, et j’ai pensé à celui-ci : « du théâtre à l’opéra », qui m’intéresse énormément. C’est un programme que je vais refaire parce que je trouve que c’est très intéressant de voir ce que la musique peut apporter à des œuvres très fortes du monde du théâtre.
On a hâte de vous entendre dans ce programme inédit. Ce sera le 10 décembre à Gaveau. La scène, vous l’avez retrouvée après toutes ces périodes de confinement, dans des conditions qui demeurent encore aujourd’hui fragiles. Est-ce compliqué pour un chanteur aujourd’hui de se produire sur scène ? Est-ce que vous ressentez encore une fragilité, une incertitude ?
J’espérais que les gens ne perdent pas l’habitude d’aller au théâtre. Avec le streaming c’est si confortable d’être à la maison, de voir des spectacles gratuitement ou qui ne coûtent pas cher. J’espère que l’on va oublier ces mauvaises habitudes et retrouver l’envie d’aller au théâtre, car c’est important. Les artistes vivent du concert live. Mettre de la musique en boîte c’est bien, mais la vivre en vrai et la partager avec le public c’est mieux.
Laure Mézan