Joyce DiDonato : « La culture ne fait plus partie de nos priorités, on la considère comme un luxe »

Chris Singer portraits

Joyce DiDonato était l’invitée du Journal du Classique de Laure Mézan à l’occasion de la publication de son enregistrement de Winterreise. Enregistré live au Carnegie Hall, la mezzo-soprano américaine prend à revers l’interprétation classique du cycle de lieder le plus bouleversant de Schubert afin d’en livrer une vision très personnelle. Artiste lyrique de premier plan, Joyce DiDonato a également émis des inquiétudes concernant l’avenir de la culture, même si l’on retiendra son évocation d’une « renaissance » pour l’art une fois la pandémie derrière nous.

Joyce DiDonato : « Mon expérience sur scène au Carnegie Hall demeure l’un des points culminants de ma carrière »

Winterreise, cycle de lieder écrit initialement pour une voix d’homme, a été interprété par peu de femmes. Parmi elles, Christa Ludwig, qui vient de nous quitter, et à qui Joyce DiDonato ne manque pas d’adresser un bel hommage : « Elle était l’exemple absolu de la beauté pure de la voix (…) c’est une très grande perte pour tous, mais elle a vécu pleinement et nous laisse un héritage incroyable (…) elle représente pour moi la quintessence du travail d’un artiste : participer à la création d’un monde meilleur ».

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Joyce DiDonato se souvient avec émotion de son récital au Carnegie Hall, accompagnée au piano par Yannick Nézet-Séguin  : « mon expérience sur scène au Carnegie Hall demeure l’un des points culminants de ma carrière d’un point de vue artistique et musical (…) Chaque récital ici est marqué d’une formidable atmosphère et d’une aura (…) Y donner Winterreise implique aussi une forme particulière d’importance et de révérence ». La dimension si essentielle de l’œuvre de Schubert associée au prestige du Carnegie Hall donne donc un caractère exceptionnel à l’enregistrement : « quelque chose advient quand les premières cordes sont frappées (…) c’est l’allure de quelqu’un qui erre, le début de l’aventure ».

 

Joyce DiDonato : « il y a un besoin humain pour l’art »

Pour s’approprier ce cycle, Joyce DiDonato a choisi de se mettre dans la peau de la femme aimée recevant le carnet de son ancien amoureux tourmenté, un choix interprétatif original qu’elle assume complètement : « je pense que le Winterreise peut supporter une nouvelle interprétation et qu’il serait intéressant de le voir sous un nouveau jour, dans l’idée que la personne laissée pour compte fait elle aussi l’expérience de son propre périple ».

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Comme Daniel Barenboim ou Maria João Pires, Joyce DiDonato s’inquiète d’une mise en retrait de la culture dans nos sociétés : « la culture ne fait plus partie de nos priorités, on la considère comme un luxe et non comme une nécessité (…) or je pense qu’on est dans le faux, car c’est bien une chose qui participe au bien-être universel et qui peut nous rassembler (…) l’esprit humain est forcé de se trouver un chemin dans la confusion et le chaos de cette dernière année, et c’est possible grâce à l’art ». Celle qui aurait actuellement dû être au Met à l’affiche de l’opéra The Dead Man Walking de Jake Heggie fait partie du DVD publié par Erato de Great Scott, un autre opéra du compositeur américain, créé en 2015 et écrit spécialement pour Joyce DiDonato : « cet œuvre est une immense lettre d’amour à l’opéra, aux chanteurs lyriques, à la grande famille de l’opéra, ses coulisses, ses donateurs, ses adeptes (…) mais j’étais loin de penser que ça paraîtrait en DVD au beau milieu d’une pandémie mondiale qui dure depuis 13 mois ! ». Joyce DiDonato poursuit sur une note positive et, à l’heure où les salles de concerts rouvrent progressivement à travers le monde, elle fait part de son optimisme : « il y a un besoin humain pour l’art (…) il est fort probable que l’on voie une sorte de renaissance suite à ce chapitre qui, je l’espère, va se clôturer rapidement ».

Rémi Monti

 

 

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