Exclusif/Radio Classique : Maria João Pires affirme que les artistes « sont responsables d’un monde meilleur »

©Felix Broede

Maria João Pires s’est confiée à Laure Mézan à l’occasion de son récital au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. La pianiste portugaise, dont chaque intervention publique est un évènement, nous a raconté sa relation avec la musique de Schubert, compositeur qu’elle considère comme « le compagnon d’une vie », la vie d’une artiste lors des confinements successifs, son choix de renouer avec la scène ou encore son projet associatif Partitura.

Maria João Pires : « Il y a chez Schubert une grande acceptation de la souffrance humaine qui le mène à une légèreté dansante »

Maria João Pires est, comme une majorité d’artistes à travers le monde, contrainte par les restrictions sanitaires de ne donner que des concerts sans public. Cet exercice lui est finalement assez familier, la pianiste étant une habituée des studios d’enregistrements comme en témoigne sa très riche discographie. Les concerts face aux micros et aux caméras lui épargnent également un peu du trac de la scène : « j’ai toujours beaucoup aimé enregistrer, et j’ai tendance à être très stressée par le fait de jouer en public même si j’ai toujours eu un bon contact avec lui (…) finalement, que le théâtre soit vide ne me dérange pas forcément beaucoup, je sens de la même façon que l’on partage un moment de musique tous ensemble (…) on sait que le public est là et qu’il nous écoute ».

A lire aussi

 

Le récital donné hier à l’occasion d’un Festival de Pâques d’Aix-en-Provence diffusé en intégralité en ligne était consacré à Beethoven, Debussy et Schubert. Franz Schubert, dont elle a enregistré les deux cahiers d’Impromptus et de nombreuses sonates, est un compositeur très cher à Maria João Pires : « c’est un compagnon de toujours, je m’identifie beaucoup à lui, il y a une facilité de compréhension de son expression (…) une grande acceptation de la souffrance humaine qui le mène à une légèreté, une simplicité chantante et dansante ».

 

Maria João Pires à propos du confinement : « Les six premiers mois étaient merveilleux (…) une vraie redécouverte du silence »

Le premier confinement au début de l’année 2020 a été l’occasion pour Maria João Pires et beaucoup de concertistes de faire une pause dans un calendrier de concerts au rythme infernal : « j’ai été privilégiée, habitant à la campagne, les six premiers mois étaient merveilleux (…) j’ai dédié mon temps au travail de ma ferme au Portugal, cela a été la redécouverte du silence et de la retraite (…) ensuite seulement j’en ai profité pour travailler au piano de nouveaux morceaux, avant en septembre de voyager un peu partout là où les concerts étaient possibles ». Au premier confinement, silencieux et agréable lors d’une retraite bienvenue dans sa ferme au Portugal, ont succédé de nouvelles restrictions alors que la pandémie s’installait pour de longs mois en Europe : « la peur a dominé le monde, il y a eu beaucoup de contraintes (…) j’ai de la chance car j’ai pu rester chez moi et quand même travailler, mais il faut être solidaire avec ceux qui n’ont pas de travail, surtout les jeunes » déclarait Maria João Pires.

A lire aussi

 

Faisant écho aux propos de Daniel Barenboim, la pianiste observe un recul de l’importance de la culture dans la vie des individus : « l’humanité est en crise, on ne peut pas parler de la crise culturelle sans parler de la crise humaine (…) l’humanité est en crise dans son rapport au partage, à la communication, la manière de se soucier des autres ». Mais Maria João Pires préfère garder les côtés positifs du confinement, et y voit une occasion de remédier à cette crise : « la vie nous a donné une chance de réfléchir sur ces valeurs (…) je pense qu’on aura un choix à faire ».

 

Maria João Pires : « l’humanité est en crise, on ne peut pas parler de la crise culturelle sans parler de la crise humaine » 

Alors que Maria João Pires avait annoncé il y a trois ans son désir de se retirer de la scène, la pianiste a depuis fait son retour. Elle explique ce revirement de situation par un besoin profond qu’elle ressentait à cette époque : « j’avais le besoin de m’arrêter, et je pensais me retirer complètement à ce moment-là (…) quelques années plus tard j’ai eu le besoin de jouer de nouveau devant un public (…) quand notre ressenti et nos besoins changent, il faut s’écouter ».

A lire aussi

 

Maria João Pires est également à la tête du projet Partitura, qui a pour but « de trouver des alternatives à la compétition dans le monde de l’art ». Pour la pianiste, « la compétition n’a rien à voir avec l’art, cela nous empêche de nous dépasser pour transmettre quelque chose (…) cette transmission doit se faire sans compétition ». Maria João Pires a choisi de mettre au centre de son projet une interdisciplinarité artistique, ainsi qu’une porosité entre arts et sciences, notamment dans le but de la défense de l’environnement : « il faut s’engager (…) les artistes, les philosophes et les scientifiques sont des gens qui ont des savoirs à transmettre, ils sont responsables d’un monde meilleur ».

Rémi Monti

 

 

 

Retrouvez l’actualité du Classique