Dans un entretien au Figaro, Laurent Bayle, directeur général de la Philharmonie de Paris, fait le bilan de la crise due à la pandémie du coronavirus, évoque les perspectives pour la reprise de l’activité de l’établissement et se penche sur l’avenir des concerts.
10 millions d’euros de manque à gagner en 4 mois
Dans cet entretien au Figaro, Laurent Bayle revient sur les conséquences économiques de l’arrêt, depuis le 9 mars, des activités de la Philharmonie de Paris, qui fête cette année ses 5 ans : « Si je considère les seuls concerts de la grande salle, dépendante à 100 % de la billetterie, nous allons sans doute perdre environ 10 millions de mi-mars à mi-juillet, mais nous aurons fait des économies sur les cachets, les voyages, les hôtels, le personnel d’accueil, la sécurité du bâtiment, etc. À la fin de l’année, j’aimerais que notre déficit ne dépasse pas 1,5 à 2 millions, sinon la reprise sera gravement altérée ».
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Concernant les autres activités de La Cité de la musique (musée, médiathèque, activités éducatives et orchestres d’enfants…), Laurent Bayle estime que si le risque financier y est moindre, car ce dispositif dépend davantage de la subvention, « le risque culturel est très élevé ».
Laurent Bayle devra faire le tri parmi les 500 concerts programmés
Même si des concerts en mode « dégradé » (13 musiciens maximum et sans public) sont organisés et diffusés en ligne ou à la télévision depuis cette semaine, les représentations en public ne sont pas prévues avant le mois de septembre. Une échéance que Laurent Bayle attend avec envie mais aussi inquiétude : « Nous restons dans l’hypothèse d’un tiers de salle, au mieux une demi-salle (…) Avec 500 spectateurs dans une salle de 2.400 places, le modèle économique est introuvable. À moins d’un prix des places exorbitant, ce qui est exclu. Tout au plus peut-on espérer un effet psychologique : en voyant l’activité musicale revenir progressivement à la vie en juin, cela donnera peut-être encore plus envie de redémarrer en septembre. Mais c’est une variable que nous ne maîtrisons pas ».
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Se pose également le problème de la programmation, notamment des orchestres et musiciens dont la disponibilité n’est pas garantie : « Nous avons la chance d’avoir un orchestre à demeure, l’Orchestre de Paris, qui a très envie de jouer. Et si sa tournée en Asie en octobre est annulée, cela le rendra disponible pour le public parisien. Il y a aussi les formations résidentes (…) De nombreux musiciens indépendants se sont d’ores et déjà déclarés prêts à suppléer les annulations d’orchestres invités, mais je ne vois pas comment satisfaire leur demande ! Nous avons une brochure de 500 concerts programmés, il faudra faire un tri ».
Laurent Bayle réfléchit à redéfinir « le périmètre de la culture » devenu « indéfinissable » et « assimilé au divertissement »
Même si, comme il le dit dans cet entretien au Figaro, l’écosystème actuel doit « continuer à s’exprimer », Laurent Bayle estime qu’il faut revisiter le modèle qui prévaut pour l’exposition de la musique classique, à commencer par l’offre qui pose question : « Pendant longtemps, la culture était considérée comme ce qui émancipe, ce qui élève par l’exigence. Désormais, il y a une offre pléthorique, une irrigation continue, tandis que le périmètre de la culture est devenu indéfinissable, assimilé au divertissement, à l’événementiel. Une ère de l’offre, pervertie par la vitesse et la rentabilité, d’où l’impression de suroffre culturelle. La réduire ? La confronter à la demande supposée du public ? Pourquoi pas, mais attention au risque de tourner le dos aux artistes les plus créatifs et exigeants ! La clé résidera dans la recherche du sens ».
Le directeur de la Philharmonie de Paris veut aussi diminuer l’impact environnemental des tournées internationales des orchestres
Autre sujet qui préoccupe Laurent Bayle : « les mauvaises pratiques » qu’impose la délicate conciliation entre mondialisation et impact environnemental. Pour le dirigeant, « la question n’est pas « moins de mondialisation », mais saura-t-on mieux la contrôler ? Un orchestre en tournée qui joue dans 7 villes différentes la même semaine ! Cela a beaucoup d’effets pervers, outre l’impact environnemental : formater les répertoires et empêcher tout ancrage ».
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Sur cette question, le responsable de la Philharmonie suggère des pistes de réflexion concrètes : « Si l’Orchestre de Cleveland ou le Symphonique de Londres sont obligés de moins voyager, qu’à cela ne tienne ! Je les accueille volontiers une semaine complète à la Philharmonie. Ainsi, ils pourront jouer des programmes variés, repenser les pratiques, participer à des actions éducatives, donner des cours d’interprétation au Conservatoire, qui est à côté. C’est plus constructif que d’arriver l’après-midi, de donner son concert et de repartir le lendemain matin. Il faut tout faire pour éviter que le concert fonctionne en vase clos ».
Philippe Gault