Chris White, un journaliste du magazine américain Slate appelle le monde de la musique classique à nommer les grands compositeurs par leur prénom et leur nom. Selon lui, cette démarche est « la seule voie vers la justice sociale dans la musique classique », et permet de lutter contre le racisme et le sexisme.
Une différence née de siècles de sexisme et de racisme
Beethoven, Schumann, Mozart, Bach mais aussi Clara Schumann, Lili Boulanger, Henry Burleigh ou encore Florence Price : tous ces noms, nous les connaissons et nous pourrions les voir inscrits sur le programme d’un éventuel concert (si le coronavirus le permet). Vous avez certainement relevé une différence dans cette liste, les compositeurs dits « traditionnels » sont désignés par leur unique nom de famille alors que les autres, en particuliers les compositrices et les compositeurs de couleur sont désignés par leur nom entier.
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Chris White, dans un article pour Slate, dénonce le sexisme et le racisme, qu’il dit omniprésent dans la musique classique, notamment par la dénomination des compositeurs : « lorsque nous disons que ce soir, nous écouterons des symphonies de Brahms et d’Edmond Dédé, nous traitons linguistiquement le premier comme étant sur un plan différent du second, une différence créée à l’origine par des siècles de préjugés systématiques, d’exclusion, de sexisme et de racisme ». Edmond Dédé est un compositeur et violoniste créole de premier plan au 19e siècle.
Terence Blanchard sera le premier compositeur noir à être joué au Met de New-York
A l’origine de cet appel, il y a un constat : le monde de la musique classique est un monde principalement blanc. Ce constat est celui de Philip Ewell, professeur de théorie de la musique et auteur d’une étude sortie en septembre sur « l’institutionnalisation d’un cadre blanc dans le monde de la musique classique ». Dans son étude, il souligne les progrès et les efforts de ce milieu pour se diversifier. L’émergence de nouveaux noms et de compositeurs de couleur dans les salles de concert et les écoles de musique est un succès. Par ailleurs, de nombreux groupes de travail sont conçus pour analyser et défendre la musique de compositeurs aux identités marginalisées, accompagnés de ressources en ligne d’exemples musicaux de ces compositeurs. Le Metropolitan Opera, en annulant sa saison 2020-21, a également annoncé qu’il commencerait sa prochaine saison avec Fire Shut Up in My Bones de Terence Blanchard, le premier opéra d’un compositeur noir à apparaître sur la scène du Met.
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Toutefois, Philip Ewell dénonce le racisme institutionnel de la théorie musicale. Ces initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion placent de nouveaux noms à côté des demi-dieux que sont ceux que l’on nomme par seulement par leur nom. Cette collision entre la diversité croissante et les compositeurs traditionnels est à l’origine d’un système hiérarchique.
Faudra-t-il appeler Mozart Johannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart ?
Cet article a fait réagir la toile outre-manche. Certains internautes se demandent si nous devrions maintenant faire référence à Mozart en l’appelant par son nom entier Johannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart. Le nom de Puccini, tout aussi long (Giacomo Antonio Domenico Michele Secondo Maria Puccini) a également fait l’objet de remarques.
"I really enjoyed that last piece by Johannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart, but that Giacomo Antonio Domenico Michele Secondo Maria Puccini aria was delightful as well!"
— Steven BROO!! Gotcha, Scared you. (@bruleoncool) October 25, 2020
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Dans son étude, Philip Ewell appelle à recadrer et à transformer ce cadre blanc pour aller vers plus de justice sociale. L’article de Slate milite lui pour nommer tous les compositeurs lorsque nous écrivons, parlons ou enseignons la musique. Ainsi, nous les traiterions tous comme étant dignes d’attention, ce qui pourrait permettre de se concentrer seulement sur la musique en dépassant certaines pratiques culturelles.
Antoine Mouly