Patricia Petibon, soprano colorature, ne passe pas inaperçue sur les scènes d’opéra. A cause de sa flamboyante chevelure rousse, mais surtout de sa fascinante personnalité. On la juge parfois un peu excentrique, alors que c’est seulement sa manière d’aller jusqu’au bout de ses rôles. Elle n’hésite pas à prendre des risques, y compris vocalement, et cherche toujours la faille de ses personnages. Venue du baroque et de Mozart, elle n’allait certes pas s’en contenter, et a vite ouvert son répertoire à des compositeurs aussi variés que Berg, Poulenc ou Satie.
Patricia Petibon en 10 dates :
- 1970 : Naissance à Montargis
- 1995 : 1er Prix de chant au CNSM de Paris
- 1996 : Débuts à l’Opéra de Paris dans Hippolyte et Aricie de Rameau dirigé par William Christie
- 1998 : « Révélation lyrique » aux Victoires de la musique
- 2002 : « Airs baroques français », 1er disque solo (Virgin Classics)
- 2006 : Débuts au festival de Salzbourg dans un Gala Mozart
- 2008 : Signe chez Deutsche Grammophon
- 2010 : Lulu de Berg à Barcelone et à Genève, mise en scène par Olivier Py
- 2013 : Dialogues des Carmélites de Poulenc (Blanche) au Théâtre des Champs-Elysées, dans la mise en scène d’Olivier Py
- 2021 : Création de Point d’orgue de Thierry Escaich
La musique et le théâtre sont présents dès son enfance, bien avant son entrée au Conservatoire de Paris et ses débuts avec William Christie.
Patricia Petibon naît à Montargis en 1970. Sa mère a appris le piano en autodidacte, et son arrière-grand-mère aurait voulu être chanteuse. Patricia commence le piano à 5 ans, mais montre très vite un attrait pour le théâtre. Lorsqu’il faut réciter une tirade à l’école, elle apprend le rôle entier puis fait des spectacles devant ses proches. « Enfant, je recherchais ce qui était beau » dit-elle dans une interview pour l’Opéra de Vienne en 2015.
Elle prend des cours de chant au Conservatoire de Tours, où son professeur insiste sur l’importance du charisme. Puis elle entre au CNSM de Paris dans la classe de Rachel Yakar, où elle obtient un Premier Prix en 1995. Remarquée par William Christie, elle se produit avec Les Arts Florissants. Elle fait ses débuts avec eux à la Scala dès sa sortie du Conservatoire, dans La Descente d’Orphée aux Enfers de Marc-Antoine Charpentier, puis l’année suivante à l’Opéra de Paris dans des rôles secondaires d’Hippolyte et Aricie de Rameau, aux côtés de Laurent Naouri en Thésée et Paul Agnew en Hippolyte. Elle participe aussi à leurs enregistrements, comme celui d’Acis et Galatée de Haendel chez Erato.
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La soprano, parfois perçue comme fantasque sur scène, s’est révélée une grande tragédienne.
Elle chante du baroque sous la direction de John Eliott Gardiner, Fabio Biondi, Christophe Rousset ou encore Emmanuel Haïm. Nikolaus Harnoncourt enregistre avec elle deux opéras de Haydn, Armide en 2000 avec Cecilia Bartoli, et Orlando Paladino en 2006 avec Chistian Gerhaher. En 2005, il lui confie le rôle exigent de Giunia dans Lucio Silla de Mozart à Vienne. « Harnoncourt m’a conforté dans l’idée de prendre des risques, d’oser certaines esthétiques, et surtout de ne pas aller là où on m’attendait : en un sens d’utiliser ma voix avec un instinct animal », raconte la soprano à Classica en 2014.
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Très vite, elle varie le répertoire. Après Blonde de L’Enlèvement au Sérail de Mozart (1999), elle passe à Zerbinetta d’Ariane à Naxos de Strauss, puis aux Dialogues des Carmélites de Poulenc, d’abord comme Constance puis en Blanche. Le type de vocalité de ses rôles évolue aussi. Elle interprète la Mélisande de Debussy en 2004 à l’Opéra de Lyon, Suzanne des Noces de Figaro en 2006 alors qu’elle est enceinte de son fils (dont le père est le compositeur Eric Tanguy), Les Contes d’Hofmann d’Offenbach en Olympia puis Antonia, Lakmé de Delibes, Sophie dans Werther puis Manon de Massenet à Vienne en 2014. « Il y a des choses qui arrivent naturellement. […] Il faut parfois accepter de dire au revoir à des rôles, et bonjour à d’autres, » explique-t-elle à Qobuzz en 2012. A chaque fois, Patricia Petibon s’investit totalement dans ses rôles. « Je me pose beaucoup de questions sur l’interprétation, » avoue-t-elle encore à Qobuzz. Sa démarche pourrait se résumer par ces propos, tenus lors d’une interview pour l’Opéra de Vienne en 2015 : « Pour moi, c’est toujours un défi de pouvoir investir corporellement un rôle et pouvoir lui donner différentes dimensions. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir un éventail très contrasté dans les émotions, et dans les prises de risques. Ne pas avoir juste une esthétique belle, parfaite, mais d’entrer toujours dans la faille des personnages, et d’aller aussi au précipice de la voix. »
De Satie à Poulenc, en passant par Lulu de Berg, elle ne renonce pas pour autant au baroque
Patricia Petibon marque les esprits dans Lulu de Berg en 2010, à Barcelone et à Genève. « Lulu déploie une vocalité titanesque. Elle demande une rage vocale, certes contrôlée, mais qui influe sur le corps, que l’on doit tenir et ouvrir, un peu comme un sportif de haut niveau. […] Après Lulu, ma voix s’est modifiée, élargie. C’était le bon moment, celui de la maturité, » analyse-t-elle pour Classica quatre ans plus tard. En marge des rôles tragiques, Patricia Petibon aime aussi la truculence des mélodies de Satie, qu’elle enregistre en 2014 avec la pianiste Susan Manoff sous le titre – emprunté à Satie lui-même – La Belle excentrique. Tout un programme, et un joli pied de nez à ceux qui, dans le public ou dans la presse, voudraient la réduire à cette seule facette de son caractère.
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Elle n’abandonne pas pour autant le baroque. Elle campe Alcina au festival d’Aix en Provence en 2015, et enregistre deux albums d’airs baroques avec Andrea Marcon (« Rosso » en 2010 et « Nouveau monde » en 2012, chez Deutsche Grammophon). « Si je n’avais pas eu la curiosité d’aller vers ce répertoire [baroque], mon imaginaire d’interprète aurait été plus restreint. La pratique du baroque se rapproche de l’improvisation, » confie-t-elle encore à Classica. Ce goût pour la re-création improvisée l’a peut-être rapprochée de Didier Lockwood, qu’elle épouse en 2015.
Trois Victoires de la musique (« Révélation lyrique » en 1998, puis « Artiste lyrique de l’année » en 2001 et 2003) viennent récompenser le travail de Patricia Petibon. Le succès ne l’empêche cependant pas de se remettre en question, bien au contraire. « Il faut douter. Sans doute, on n’avance pas. Si on était sûrs de tout, on n’arriverait pas au but. C’est le questionnement qui fait qu’on travaille, et grâce à ce travail on arrive quelque part, » témoigne-t-elle à Qobuzz.
« Lascia ch’io pianga » de Rinaldo de Haendel (Patricia Petibon et le Venice Baroque Orchestra, à Lisbonne en 2011)
Si à l’opéra les metteurs en scène se succèdent, Patricia Petibon a ses préférences
Alors qu’elle est marraine de l’opération « Tous à l’Opéra », Patricia Petibon définit en 2016 sur Europe 1 sa définition d’une « bonne mise en scène : c’est lorsque l’émotion est au rdv et que chaque chanteur a un charisme. » Parmi tous les metteurs en scène avec lesquels elle a travaillé, trois l’ont particulièrement transporté : Klaus Guth, Michael Haneke et surtout Olivier Py.
Du premier, elle retient « une poésie à la Proust : le temps est toujours un élément déterminant dans ses mises en scènes. » (interview vidéo pour Forum Opéra en 2011). Pour la reprise de son Lucio Silla, sortie en DVD en 2018, Patricia Petibon est finalement accompagnée par Ivor Bolton, Nikolaus Harnoncourt étant décédé en 2016. En 2012, la soprano prête sa voix à la Donna Anna de Haneke pour son Don Giovanni à l’Opéra Bastille. « Pour moi, c’était une mise en scène historique. Moi qui suis toujours en quête d’une expression et d’une vérité, Mickael Haneke m’a offert quelque chose d’unique. » Quant à Olivier Py, elle reconnaît « lui devoir beaucoup. Il a été une des grandes rencontres de ma vie. » Après Lulu en 2010, c’est aussi sa mise en scène qu’elle sert dans Dialogues des Carmélites en 2013, repris au Théâtre des Champs-Elysées en 2018. En 2021 le duo d’artistes se retrouve une fois de plus. Cette fois, c’est la création de Point d’orgue de Thierry Escaich, dont Olivier Py a écrit le livret et conçu la mise en scène, couplée avec La Voix humaine de Poulenc dont il se veut en quelque sorte une suite. « C’est très important d’être en phase à la fois avec le metteur en scène et le chef d’orchestre, parce qu’avec eux on peut arriver à la symbiose entre le théâtre et la musique. Quand on n’est pas bien dirigé, on se retrouve seul. Ce n’est pas très intéressant d’être face à soi-même sur scène. »
Celle qui se souvient volontiers « avoir voulu être cosmonaute » quand elle était petite, estime pourtant avoir suivi ses rêves d’enfant. « Qu’est-ce que la voix ? C’est une exploration du monde, intérieur et extérieur, » souligne-t-elle sur Arte en 2011. En 2020, le Conservatoire de Montargis prend son nom. Un bel hommage à une chanteuse qui n’a pas fini de nous emmener dans les étoiles.
Sixtine de Gournay