Le Lac des cygnes de Tchaïkovski : le plus célèbre ballet au monde fut un échec lors de sa création

Le Lac des cygnes, œuvre pleine de charme et de mystère, marque une date. C’est la première fois dans l’histoire de la musique qu’un compositeur symphonique majeur écrit pour le ballet.

Avant Tchaïkovski, la musique de ballet est considérée comme un genre à part (mineur) réservé à des spécialistes corvéables à merci.

Contrairement à la plupart de ses collègues, Tchaïkovski ne méprisait pas le ballet. Il avait beaucoup aimé La Sylphide, et surtout Giselle (Adam) et Coppélia (Delibes). Pour amuser les enfants de sa sœur Sacha pendant l’été 1871, il avait même composé un petit ballet sur des cygnes…

Connaissant son intérêt pour la danse, le directeur du Bolchoï, Vladimir Begichev, lui commande un ballet inspiré de légendes médiévales allemandes. C’est bien payé et Tchaïkovski est à court d’argent. Rimski-Korsakov lui déconseille d’accomplir cette tâche dégradante. Tchaïkovski répond qu’il n’y a pas de genres inférieurs, seulement de petits musiciens. Et il accepte. De passage à Paris, Tchaïkovski voit Sylvia à l’Opéra Garnier et juge Delibes supérieur à Wagner. Il s’inspirera néanmoins du leitmotiv adapté par Adam pour caractériser les personnages de Giselle.

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La création du Lac des cygnes a lieu au Bolchoï le 4 mars 1877. C’est un échec.

Le chorégraphe attribué à Tchaïkovski est le maître de ballet Julius Reisinger. Il trouve la musique trop lourde et peu dansante. Chorégraphe médiocre, chef inexpérimenté, ce Lac annoncé comme un événement est un pétard mouillé.

Tchaïkovski a pourtant écrit une musique sublime sur un sujet qui le touche très personnellement. L’argument est l’histoire d’un Prince qui tombe amoureux d’Odette, laquelle est sous le coup d’un sortilège. Le jour, elle est un cygne blanc, la nuit elle redevient femme. Alors que le Prince veut l’épouser, le sorcier substitue sa fille Odile (un cygne noir) à Odette lors des noces. Une tempête engloutit les héros qui se noient dans le lac. Cette histoire résonne fortement avec l’homosexualité de Tchaïkovski. De nombreux chorégraphes s’en sont inspirés. De Neumeier à Noureev jusqu’à Matthew Bourne qui a imaginé un Swan Lake par des danseurs en tutu.

Pas de quatre (chorégraphie de Yuri Grigorovich)

 

Après l’échec de la création au Bolchoï, il faudra attendre la version du Mariinski de Saint-Pétersbourg pour que l’œuvre entame son tour du monde.

Tchaïkovski n’en a pas fini avec le ballet. Sa collaboration avec le Marseillais Marius Petipa au Ballet impérial de Saint-Pétersbourg voit le triomphe de La Belle au bois-dormant (1890) et de Casse-Noisette (1892). Il semble que Tchaïkovski dans un genre aussi contraignant développe en pleine liberté le plus pur de son génie dans une totale perfection.

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Marius Petipa propose alors au compositeur de reprendre Le Lac des cygnes dans une version remaniée. Tchaïkovski accepte avec enthousiasme, mais sa mort en 1893 interrompt l’entreprise. Petipa et son assistant Ivanov chorégraphient l’acte II dans un hommage solennel au compositeur qui a lieu au Mariinski l’année suivante. C’est un tel triomphe que Petipa décide de monter le ballet en entier. Il charge Modeste (le frère de Tchaïkovski) de remanier le livret et au chef d’orchestre Riccardo Drigo de se livrer aux arrangements musicaux nécessaires. Tout est simplifié, allégé. Dans cette nouvelle version (1895), Odette se jette dans les eaux du lac et le Prince la suit. Ils se retrouvent au royaume des ondes pour former une happy end.

C’est cette version qui servira de base aux fameux chorégraphes qui, de Lifar à Balanchine en passant par Alonso, Ek, Neumeier et Noureev (Vienne et Paris) plongeront chacun leur tour dans ce lac si trouble et si brillant.

 

Olivier Bellamy

 

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