La Symphonie n°9 de Beethoven : « l’Ode à la joie » est un hymne à la fraternité

La Symphonie n°9 de Beethoven inclut des choeurs et fait ainsi éclater le modèle traditionnel du genre. L’Ode à la joie du final, sur un texte de Schiller, appelle à la fraternité entre les peuples, merveilleux testament d’un compositeur alors complètement sourd, et qui devait disparaître 3 ans plus tard.

L’oeuvre est composée en deux temps, Beethoven travaillant à d’autres partitions en même temps

Dès la Septième Symphonie (1811-1812), Beethoven travaillait déjà sur l’idée d’une trilogie symphonique s’achevant par une œuvre avec chœur… En 1823, il achève l’orchestration de sa Neuvième Symphonie qui inclut le texte de Schiller (1759-1805). La partition est par conséquent le produit de deux phases de création. La première datant des années 1812-1818 et la seconde de 1822-1823. Comme à son habitude, le musicien organise la production simultanée de plusieurs partitions, généralement dans des répertoires différents. La Société philharmonique de Londres a accepté le projet de sa symphonie. Prudemment, Beethoven attend que les honoraires prévus lui soient versés avant d’aller plus en avant.

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La partition présente une nouvelle forme symphonique, qui associe un orchestre de vaste dimension avec des voix.

Il ne s’agissait toutefois pas de renouer avec l’oratorio. Ses nombreux écrits laissent à penser qu’il entreprend plusieurs tentatives afin d’introduire progressivement les voix solistes ainsi qu’un chœur. L’expérience de la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre op.80 (1808) et dont le thème final présente déjà une esquisse de l’Ode à la Joie demeure profondément gravée dans l’esprit du compositeur. Le texte de Schiller illustre un idéal que Beethoven a fait le sien, un idéal porté par le courant littéraire du Sturm und Drang auquel appartient le poète.

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La Révolution française, puis les troubles qui surgissent dans la plupart des capitales de l’Europe et qui atteindront leur apogée en 1848 interrogent les artistes sur la place de l’individu dans la société. La représentation d’un monde fraternel et d’une joie collective transparaissent dans la symphonie.

 

La Symphonie n°9 représente un appel à l’Humanité tout entière.

Les petits carnets que Beethoven garde toujours sur lui, et qui lui servent désormais de moyen de communication en raison de sa surdité, témoignent de ses doutes avant la création de la Symphonie. Il sait que les Viennois sont versatiles, aimant la nouveauté et plus encore ce qui brille. Gioacchino Rossini (1792-1868) remporte des succès fantastiques et bien qu’il ait rencontré Beethoven, les relations entre les musiciens sont inexistantes. Beethoven s’agace des triomphes de son jeune confrère. Peut-il rivaliser avec l’auteur du Barbier de Séville alors qu’il travaille à une partition aussi monumentale ? Il ne se doute pas qu’aucune autre œuvre dans l’histoire de la musique sera à ce point récupérée afin de célébrer les grands événements. Souvent pour le meilleur. Parfois pour le pire.

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Avec l’Allegro ma non troppo, un poco maestoso, voici le chaos puis l’ordre qui jaillissent de terre !

Le crescendo est l’affirmation d’une force irrésistible élaborée à partir de plusieurs motifs. Les contrastes extrêmes, les dissonances, le caractère énigmatique de l’absence de thème – du moins dans les premières mesures – ont un effet saisissant sur l’auditoire. Au premier thème brutalement énoncé, s’oppose une seconde idée musicale de nature mélodique. Inexorablement, l’ampleur du développement se traduit par une puissance tragique portée par les roulements de timbales et les vents. On note d’ailleurs la place importante dévolue au hautbois dont la présence semble affirmer la solitude de l’Homme devant le déchaînement de la Nature.

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L’orchestration avec des interruptions de plus en plus serrées des timbales et une pulsation jubilatoire de tout l’orchestre théâtralisent l’écriture du deuxième mouvement.

Deux idées thématiques, une fois encore, se heurtent dans le Molto vivace. C’est tout d’abord l’affirmation double forte d’un rythme très bref scandé aux cordes puis repris par les timbales et les vents. La forme se dévoile : il s’agit d’une fugue à cinq voix d’une grande complexité. C’est le rythme, la perception vitale de l’énergie qui s’imposent, hors de toute considération esthétique. Beethoven disloque la notion du “beau” telle qu’elle était comprise à son époque. Le presto central – qui tient lieu de Trio – se révèle une danse effrénée et animée pas les bassons. Tous les instruments se joignent à leur motif répété à l’envie, varié, travaillé en tous sens. Déjà, l’auditeur perçoit des bribes de l’Ode à la Joie.

Le schéma sonore, en couleurs, du 2ème mouvement de la 9ème Symphonie (Philharmonia Baroque)

 

 

Tout comme dans sa Symphonie “Pastorale”, Beethoven fait chanter les instruments dans l’Adagio molto e cantabile.

Certains musicologues soulignent la parenté du thème du mouvement lent avec le Douzième Quatuor à cordes en mi bémol majeur op.127 achevé en 1827. La fusion entre les éléments se réalise. La sérénité et la douleur contemplative se mêlent dans le thème exposé mezzo-voce par les cordes. Dans les modulations de cette idée musicale, les vents apportent des jeux de couleurs, de timbres et des effets d’échos. Parfois même, l’œuvre se mue en une sérénade pour vents, les pizzicati des cordes leur offrant un accompagnement discret. Beethoven joue ainsi sur les sinuosités des diverses variations avant de revenir au thème initial. Rien ne laisse présager l’immense final.

 

Le dernier mouvement s’organise en deux parties. La première est purement instrumentale, et la seconde révèle les chœurs et les voix solistes.

Les dissonances des vents et des timbales provoquent l’éclatement sonore des premières mesures. Cette ouverture théâtrale laisse place au motif des violoncelles et contrebasses qui annoncent déjà le chant du baryton. Alternativement, les familles d’instruments proposent quelques bribes de phrases musicales des trois mouvements antérieurs. Tous les pupitres sont bientôt réunis en une seule voix.

C’est enfin le thème de l’Ode à la joie qui est interprété par les hautbois, clarinettes et bassons avec les cors. Il s’agit presque d’un murmure, dolce, d’un récitatif qui gagne tout l’orchestre avec un sentiment d’allégresse. L’exposition du thème provoque une nouvelle “ouverture de rideau”. Cette fois-ci, c’est la voix de baryton (ou de basse) qui chante « O Freund, nicht diese Töne, sondern lasst uns angenehmere anstimmen und freudenvollere! » (« O Frères, abandonnez cette musique, entonnons plutôt une musique plus agréable et plus joyeuse! »). Après cette invitation à chanter, le chœur reprend les quatre derniers vers de l’Ode.

Final de la Symphonie n°9 avec « l’Ode à la joie » (West-Eastern Divan Orchestra, dir. Daniel Barenboim)

 

Apparaissent alors des variations. La première sur une pulsation grave du contrebasson est une marche, une sorte de musique turque sur laquelle la voix du ténor s’insère « Froh, wie seine Sonnen », secondée par le chœur d’hommes. Le développement fugué est joué fortissimo. Un silence vient briser l’élan. Il permet au chœur et aux solistes de scander les paroles du début de l’Ode à la joie. L’Andante maestoso exprime l’universelle fraternité, les voix d’hommes étant rejointes par celles des femmes. Cette partie se clôt dans un climat extatique.

L’Allegro energico semper ben marcato superpose dans une double fugue les thèmes chantés par les sopranos et les altos, le rythme étant soutenu par les violons, trombones et timbales. Suit alors un Allegro ma non tanto dans lequel les solistes et le chœur alternent, louant la réconciliation des hommes avec le Créateur. Puis, c’est le Prestissimo, l’exaltation collective, retenue deux mesures seulement par un Maestoso avant le déchaînement conclusif.

La symphonie fut créée le 7 mai 1824 au Kärntnertortheater de Vienne. L’orchestre était dirigé par Michael Umlauf, Beethoven étant à ses côtés afin de lui indiquer les tempi. Une célèbre anecdote nous est parvenue de la création. A l’issue de l’interprétation, Beethoven alors totalement sourd et tournant le dos au public ne vit pas tout de suite le triomphe que remportait son œuvre.

 

Stéphane Friédérich

 

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