A Vienne, Beethoven est accueilli comme le plus grand pianiste improvisateur de son temps. Il est l’interprète le plus adulé de la société viennoise. En 1800, il aurait pu mener une carrière de virtuose, qui aurait largement suffi à ses besoins financiers. Mais le besoin de composer le hante, seule antidote au désespoir de la surdité.
Lorsque Beethoven écrit la sonate La tempête, il est en proie désespoir que lui cause sa surdité galopante
Les premières sonates pour piano témoignent d’une écriture profondément novatrice. Elles remettent en cause toutes les règles établies. Au clavecin, puis bientôt au pianoforte, Beethoven expérimente de nouveaux alliages de rythmes et harmonies. Au cours de l’année 1802, il évoque dans plusieurs lettres une surdité – due à une forme de syphilis doublée d’une otosclérose – qui se développe de façon très rapide. Les premiers symptômes sont apparus en 1796. Au cours de l’été 1802, il rédige à Heiligenstadt, non loin de Vienne, un testament. L’idée du suicide le hante et seule sa production musicale incessante l’empêche de passer à l’acte. C’est dans ce contexte que naissent plusieurs partitions dont les trois sonates pour piano qui composent l’opus 31. Elles sont liées entre elles par une volonté d’explorer le matériau de la sonate, mais aussi les capacités dynamiques et expressives de l’instrument, le pianoforte.
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La Deuxième Sonate en ré mineur est parfois dénommée “Recitativ-Sonate” en raison de son accord arpégé, qui est une sorte de clin d’œil à l’accompagnement d’un récitatif d’opéra. Aujourd’hui, elle est avant tout connue sous le nom de la Sonate “La Tempête”.
Beethoven a conseillé d’employer le titre La Tempête afin que les auditeurs se souviennent de la pièce de théâtre éponyme de Shakespeare.
Le premier mouvement Largo puis Allegro s’ouvre dans un climat étrange. Le développement est si habilement construit qu’il provoque un sentiment d’inquiétude entre la basse qui ne cesse de “questionner” et la violence expressive de la main droite. Toute la tension de l’œuvre repose sur ce conflit “question / réponse”, sur le principe de l’opposition et de la complémentarité, entre silence et explosions sonores dignes d’un orchestre.
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Le mouvement lent, Adagio, s’ouvre sur le même principe d’un accord arpégé. Là encore, ce sont les phrases antagonistes qui s’attirent. De brèves formules rythmiques s’opposent à la délicatesse d’une mélodie qui s’étire. La sérénité et l’angoisse se combinent de la manière la plus originale qui soit.
Final de la Sonate « La Tempête » (Daniel Barenboim)
Carl Czerny a décrit le final comme un galop de cheval. Il doit, selon les propres termes du compositeur et pianiste, « être animé par un strict respect des piano, des forte, crescendo, diminuendo et par une utilisation harmonique de la pédale ».
Le final, un Allegretto au tempo contenu se construit sur un petit motif répété à l’envie, mais modulé et travaillé en tous sens. Comment ne pas songer au style d’un prélude de Bach ? L’impression d’un perpetuum mobile domine de bout en bout. L’humour n’est pas absent de cette page qui révèle une rage sous-jacente.
Stéphane Friédérich