On croit parfois à tort que Beethoven, immense pianiste et improvisateur, n’éprouve que peu d’attirance pour la technique du violon. Certes il n’est pas un virtuose de l’instrument. Cependant il a été violoniste et altiste dans l’Orchestre de la cour de Bonn dans sa jeunesse
Le Concerto pour violon et orchestre n’est pas la première partition que Beethoven dédie au violon soliste. Quelques années auparavant il compose un fragment de concerto pour violon et 2 romances
Beethoven a étudié les grands traités consacrés au violon, notamment L’Art du violon de Pierre Baillot (1771-1842). Il devint l’ami de plusieurs grands maîtres de l’archet, à l’influence considérable tout au long du XIXe siècle : Rodolphe Kreutzer (1766-1831), Pierre Rode (1774-1830) et Ignaz Schuppanzigh (1776-1830). Ce dernier crée la plupart des œuvres avec violon de Beethoven entre 1790 et 1828, notamment ses quatuors à cordes. Des trois périodes créatrices qui servent de repère dans la chronologie de l’univers beethovénien, le Concerto pour violon de 1806 se situe dans une époque intermédiaire, que l’on nomme parfois celle de “l’orchestration novatrice”.
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Beethoven a alors achevé son Quatrième concerto pour piano ainsi que la Symphonie n°4. Il offre son nouveau concerto au Konzermeister du Theater an der Wien de Vienne, Franz Clement (1780-1842). Celui-ci est alors considéré comme l’un des plus grands violonistes, mais aussi un chef d’orchestre remarquable. C’est d’ailleurs le créateur de la Symphonie n°3 dite « Héroïque ». Les rapports entre les deux musiciens sont excellents, comme en témoigne la dédicace initiale de la partition, affectueusement humoristique : « Concerto par clemenza pour Clement, primo Violino e direttore al theatro a Vienna ».
Beethoven achève dans l’urgence la composition du concerto, à tel point que son dédicataire en déchiffre une grande partie durant la création
Beethoven a entrepris la composition de l’ouvrage dès la fin du mois de novembre 1806, soit quelques semaines seulement avant la création de l’œuvre le 23 décembre. Compte tenu de l’importance de la partition, on imagine sans peine le travail acharné qu’il accomplit, probablement jour et nuit. La date du concert ne peut être différée, car la salle très prisée du Theater an der Wien est déjà réservée. Le matériel d’orchestre a à peine eu le temps de sécher lorsqu’il est posé sur le pupitre des musiciens.
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Clement n’a pratiquement pas eu le temps de travailler l’œuvre, dont il en déchiffre une grande partie… durant le concert ! Pris par le temps, Beethoven n’a pu se résoudre à choisir entre certains passages confiés au soliste. Il laisse ainsi à Clement la possibilité de jouer le moment venu jusqu’à quatre versions différentes ! Le soliste improvise en outre sa propre cadence. La critique et le public sont déroutés par la longueur du concerto. Le manque de répétitions dessert évidemment l’interprétation d’une partition non seulement complexe, mais par bien des aspects encore inachevée. Beethoven ne reprend l’œuvre qu’au moment de sa publication par le Bureau des Arts et d’industrie de Vienne, en août 1808. Il en révise alors de manière très conséquente les premiers et troisième mouvements.
Le Concerto met en valeur la personnalité du soliste, la richesse de l’orchestration et une virtuosité relativement mesurée du violon solo
La bravoure est peu présente dans le premier mouvement, Allegro ma non troppo, qui s’ouvre sur le battement sourd de quatre notes aux timbales. La qualité des couleurs est primordiale. Une brève cadence introduit la voix du soliste après que l’orchestre a longuement exposé les deux thèmes. Leur originalité, qui dérouta tant le public, mêle des réminiscences d’airs folkloriques et des mélodies d’opéras. Le violon solo ordonne les divers groupes thématiques et impose un sentiment d’unité. Le passage des thèmes à l’orchestre ou au violon ne provoque aucune digression ornementale. Le lyrisme contenu de la partition nous semble étonnamment moderne jusque dans la cadence qui précède la coda.
Anne-Sophie Mutter dans le Concerto pour violon de Beethoven, accompagné du Philharmonique de Berlin dirigé par Herbert von Karajan
Le second mouvement, un Larghetto en sol majeur, rappelle la structure et les atmosphères des deux Romances pour violon et orchestre op.40 et op.50. Il est traité sous forme de variations. L’élément mélodique en est développé principalement dans le registre aigu du violon.
Une courte cadence annonce le finale, Rondo (allegro), qui est directement enchaîné. La ponctuation rythmique est confiée en premier lieu aux violoncelles. Ils laissent le soliste déployer toute l’étendue de ses moyens techniques. Le climat porté par la tonalité de ré majeur est l’un des plus heureux de la littérature beethovénienne. Doit-on voir dans cet optimisme sans arrière-pensées l’exaltation du musicien qui venait alors de se fiancer en secret avec Thérèse de Brunswick ?
L’accueil réservé à ce concerto a été mitigé. Est-ce pour cela que Beethoven ne dédie pas la version finale à Clement, mais à un ami d’enfance, Stephan von Breuning, et la transcription pour piano à son épouse Julie ? L’oeuvre a été négligée pendant près de 40 ans, et il a fallu attendre mai 1844 pour qu’il revive à Londres, sous la direction de Felix Mendelssohn, avec un jeune violoniste de 13 ans qui va laisser son nom dans l’histoire : Joseph Joachim.
Stéphane Friederich
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