Casse-Noisette s’est taillé une place de choix parmi le répertoire de toutes les grandes compagnies de ballet. Issu d’un conte fantastique d’Hoffmann, il continue de faire rêver petits et grands.
Tchaïkovsky s’impose comme le premier de cordée de la singulière escouade de compositeurs à l’origine de l’essor du ballet russe
Tchaïkovsy composa trois grands ballets (Le Lac des cygnes, La Belle au bois dormant et Casse-Noisette) considérés comme les plus beaux du XIXe siècle, et qui forment aujourd’hui encore la base du répertoire de toutes les compagnies de ballet classique. Avant Tchaïkovsky, le genre connaissait déjà en Russie une grande tradition, fondée notamment sur une technique de premier ordre. La qualité de la musique, cependant, était médiocre et la plupart des sujets restaient banals. En réalité, tout était prétexte aux exhibitions des danseurs. De là une musique « tapisserie », aussitôt entendue aussitôt oubliée, difficile à donner en concert. Avec le compositeur de la Symphonie « Pathétique », le ballet romantique atteignit une qualité qui le mit définitivement au niveau des autres genres musicaux. Sa trilogie marqua du même coup le début d’un renouvellement esthétique dans l’interprétation de la danse, renouvellement qui, grâce aux apports de Rimsky-Korsakov, Glazounov, Khatchatourian, Stravinsky et Prokofiev, allait donner aux ballets russes la première place dans le monde.
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La mince trame du ballet engendre une série de danses aussi brèves que charmantes, d’une infinité de personnages
Tchaïkovsky composa Casse-Noisette, le dernier et le plus court de ses trois ballets, entre février 1891 et avril 1892. Le livret reprend le thème d’un conte fantastique d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, dans la version française d’Alexandre Dumas père, Casse-Noisette et le roi des souris. L’histoire est celle d’une petite fille qui, après avoir reçu comme cadeau un joli casse-noisette à tête humaine, fait un rêve. Au cours de celui-ci, et après une lutte contre le roi des souris, le casse-noisette se transforme en prince, avec lequel la petite fille fait un voyage au pays des friandises. Cette mince trame engendre une série de danses aussi brèves que charmantes, d’une infinité de personnages. Peut-être Casse-Noisette n’a-t-il pas le souffle et l’élan lyrique des deux ballets précédents – « Ce ballet est très inférieur à La Belle au bois dormant », disait sévèrement Tchaïkovsky -, mais il les égale certainement pour ce qui concerne l’imagination mélodique ainsi que la richesse et la maîtrise de l’orchestration.
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Tchaïkovsky dut suivre les minutieuses instructions du très exigeant chorégraphe français émigré en Russie Marius Petipa.
Pour écrire la partition de Casse-noisette (commencée au cours d’un voyage aux Etats-Unis, puis achevée à Saint-Pétersbourg), Tchaïkovsky dut suivre les minutieuses instruction du très exigeant chorégraphe français (il était né à Marseille) émigré en Russie Marius Petipa. Déjà, pour l’élaboration de La Belle aux bois dormant, Petipa avait fait valoir au musicien ses prérogatives. Ce ballet, commande du théâtre Marie, fut présenté en public le 27 janvier 1890. Décors, costumes, danseurs, obtinrent un très vif succès. La musique laissa perplexe. L’échec était cependant moins net que celui enregistré le soir de la première du Lac des cygnes au Grand Théâtre de Moscou en mars 1877. Le ballet, presque entièrement composé lors d’un séjour effectué à Paris en 1876, avait été créé sur une chorégraphie d’un certain Julius Reisinger. Mais c’est celle de Petipa qui devait assurer, dix-huit ans plus tard, son définitif et plein succès. Tchaïkovsy était mort depuis deux ans.
La « Valse des fleurs » de Casse-noisette (Théâtre Maarinsky sur une chorégraphie de Vassily Vainonen)
Fruit d’une veine mélodique intarissable et d’une instrumentation au cordeau, la musique versicolore de Tchaïkovsky est un perpétuel enchantement
La musique de Casse-Noisette est gorgée de riches harmonies post-romantiques et dégage un capiteux parfum slave. Le premier acte comporte néanmoins maintes références au style classique de la fin du XVIIIe siècle, témoignant de l’admiration du compositeur pour Mozart. La Suite d’orchestre (op. 71a) a été conçue au moment même de la composition par Tchaïkovsky, qui en donna la première audition le 7 mars 1892, bien avant la représentation du ballet entier. Elle comprend huit numéros de cette partition enchanteresse, fruit d’une intarissable veine mélodique : la légèreté scintillante de l’« Ouverture » précède l’enfilade des Danses caractéristiques : l’irrésistible « Marche » ; la « Danse de la Féé dragée », berceuse instaurant un subtile dialogue entre le célesta (instrument que Tchaïkovsky fut le premier à utiliser), la clarinette et la clarinette basse ; le frénétique « Trépak » (une danse russe) ; l’orientalisante « Danse arabe », dont la langueur tranche avec l’humour de la « Danse chinoise » et de la « Danse des mirlitons », conduite par les trois flûtes, le cor anglais et les cuivres. On n’oubliera pas de citer les grandes valses, celle « des flocons de neige » (accompagnée par un chœur de 24 voix d’enfants ou de femmes) ou la célébrissime « Valse des fleurs ». Et le non moins fameux « Pas de deux », à faire pleurer les pierres… que les auditeurs de Radio Classique connaissent en tant qu’indicatif des Variations de Francis Drésel !
Jérémie Bigorie