Nitrate d’ammonium : Entre risque d’explosion et besoin agricole, un arbitrage délicat

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Après la catastrophe d’AZF et l’explosion dans le port de Beyrouth, les stocks de nitrates d’ammonium sont dans le collimateur du gouvernement. Utilisés comme engrais par les agriculteurs, ce sont des bombes agricoles en puissance. Pour maîtriser ce risque, un projet d’arrêté prévoit de diminuer les quantités de stocks autorisés sur les exploitations. Le texte a été soumis à la consultation publique, celle-ci se termine aujourd’hui, ce mardi 15 février. Les agriculteurs font front contre la mesure.

En France, le gouvernement a lancé une vaste étude de danger

C’est l’une des conséquences de l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, où plus de 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium avaient soufflé le centre de la capitale libanaise faisant des centaines de morts. En France, le gouvernement a lancé une vaste étude de danger : dans les ports de l’Hexagone, on a évalué la sécurité des stocks. Mais il a fallu aussi se pencher sur le cas des exploitations agricoles, gourmandes en nitrate d’ammonium. Selon Jacky Bonnemains, président de l’association Robin des Bois : « quelques tonnes d’engrais à base de nitrate d’ammonium sont susceptibles, en cas d’incendie, de provoquer des explosions. Le constat est alarmant. On a relevé depuis le début de l’année dernière, une vingtaine d’incendies de ce type. Ce sont aussi des pollutions récurrentes. Les agriculteurs, malheureusement, continuent à stocker le nitrate d’ammonium à côté de pneus, de paille, de citernes d’hydrocarbures ».

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Des centaines d’infractions ont aussi été relevées par les inspecteurs de l’Etat l’année dernière. Un contrôle qui s’est limité aux gros stocks d’ammonium entassés dans les hangars. « Si un agriculteur stocke 250 tonnes d’engrais à base de nitrate d’ammonium, il n’en parle à personne. Ni aux pompiers ni aux riverains ni aux maires. Les projets du ministère de l’Ecologie tendent à abaisser ce seuil à 150 tonnes » affirme Jacky Bonnemains. Seule la version ultraconcentrée du nitrate d’ammonium est concernée.

7 pays de l’UE ont interdit le nitrate d’ammonium

C’est un engrais extrêmement riche en azote, il est très efficace et plus accessible que le compost ou le lisier pour les agriculteurs. Guillaume Chartier est exploitant agricole dans l’Oise, à 20 minutes de Roissy. Si la mesure est adoptée, ce producteur de blé et de colza perdra jusqu’à 10 ans de bénéfices : « si je n’ai plus l’autorisation de stocker l’engrais nécessaire sur mon exploitation, on va devoir trouver des stockages à l’extérieur. Donc demain, on va créer des intermédiaires qui vont avoir un coût. Pour une exploitation d’environ 200 hectares comme la mienne, le surcoût serait de 80 à 100 000 euros. C’est la mort de bon nombre d’exploitations agricoles ». Cela impliquera aussi d’exporter davantage, car le nitrate d’ammonium, en version moins concentrée ou les engrais chimiques alternatifs, ne sont pas produits en France.

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Nicolas Broutin, président de la branche française de Yara, le numéro 1 mondial de la production et de la distribution d’engrais minéraux, craint de devoir fermer ses usines : « on peut vraiment parler d’une perte de souveraineté alimentaire si ces engrais doivent être achetés à l’extérieur. Notre sentiment, c’est un sentiment de non-sens puisque cette mesure viserait à augmenter l’empreinte carbone de l’agriculture française. Demain, plutôt que d’opter pour une forme haut-dosage, les agriculteurs s’orienteraient vers des formes alternatives qui contiennent plus de carbone et qui sont moins efficaces en terme de productions agricoles ». Ailleurs en Europe on a pourtant réussi à passer le pas : de l’Autriche à l’Irlande, 7 pays de l’UE ont interdit le nitrate d’ammonium.

Laurie-Anne Toulemont

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