François Gemenne, enseignant à Sciences Po Paris, chercheur à l’université de Liège et spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement était l’invité de Gaël Giordana ce mardi 19 juillet. Réagissant à la canicule qui frappe la France, il assure que cela confirme les projections climatiques faites il y a 10 ou 20 ans, et constate qu’aucune région française n’est épargnée.
Des écarts de température de 15 à 20° par rapport aux normales de saison
François Gemenne, vous écrivez régulièrement pour le Giec, ce groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Hier à Brest, en Bretagne, on a atteint les 39,3°, c’est un record. Est-ce que vous êtes surpris ?
Malheureusement pas du tout, parce que chaque jour, chaque semaine ne fait que confirmer empiriquement les projections qui avaient été faites par les modèles climatiques il y a maintenant 10 ou 20 ans.
39,5 degrés à Saint-Brieuc, 40° à Nantes ou encore 42, 6° à Biscarrosse. Que répondez-vous à certaines personnes qui disent « c’est l’été, il fait chaud, c’est normal » ?
Soyons très clair, on est ici sur des écarts de température qui sont de l’ordre de 15 à 20° par rapport à ce qu’on appelait les normales saisonnières. Alors bien entendu, il fait chaud l’été. Bien entendu, il y a toujours eu des étés plus chauds que d’autres, mais ce qui est caractéristique ici de l’impact du changement climatique, c’est à la fois le fait que ces vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes – c’est déjà la 3ème ou la 4ème depuis le printemps – et que ces vagues de chaleur sont surtout de plus en plus intenses. C’est ce qui explique que les records de température tombent les uns après les autres, et dans le futur, ces records vont continuer à tomber. On ne peut donc pas comparer ces vagues de chaleurs à répétition avec quelques canicules isolées qui avaient existé en 1911 et 1976.
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En France, le températures sont finalement déjà plus élevées que la moyenne mondiale ?
Absolument, la température se réchauffe plus rapidement en Europe occidentale. L’hypothèse qui est émise et qui, je pense, tient la route, est celle d’un phénomène de double jet-stream. En d’autres termes, il y a des masses d’air chaud qui sont amenées depuis le Sahara et qui ne sont plus repoussés comme elles l’étaient par le passé, parce que le nord du continent, le Groenland et la Sibérie se réchauffent encore plus rapidement. Cela veut dire que ces masses d’air chaud restent sur l’Europe, et cela explique que les canicules vont désormais être plus fréquentes, de l’ordre de 3 à 4 fois plus fréquentes en Europe que sur d’autres régions de même latitude.
Est-il vrai que notre climat en France a tellement changé qu’il ressemble de plus en plus à celui de l’Italie ?
En effet, la France va connaître dans quelques années un climat qui va se rapprocher de celui de l’Italie ou de l’Espagne. Et puis, dans quelques décennies, un climat qui va se rapprocher de celui du Maroc ou de l’Algérie.
Il y a un risque de voir se développer des corps de sapeurs-pompiers privés comme il en existe déjà en Californie
On a tous vu les images de ces méga feux dans le sud-ouest notamment. Il y a aussi un incendie en Bretagne, où plus de 300 hectares ont été détruits dans les monts d’Arrée. Cela veut dire aujourd’hui qu’aucune région française n’est épargnée ?
C’est le grand enseignement. Tout le monde est surpris de voir des incendies dans le Finistère. Les gens étaient habitués à des incendies sur le pourtour méditerranéen. Cela pose une question de répartition des moyens. Traditionnellement, l’été, les sapeurs-pompiers des départements du nord prêtaient main-forte à leurs collègues du sud. Mais le problème, c’est que si les feux se déclarent aussi dans le Finistère, peut-être demain dans le Pas-de-Calais, ils seront eux-mêmes en train de combattre les incendies. Il y a donc une vraie nécessité d’investissement des pouvoirs publiques dans l’adaptation, et notamment dans les canadairs. Le risque est de voir se développer des corps de sapeurs-pompiers privés comme il en existe déjà en Californie, proposés par certaines compagnies d’assurance.
Vous pensez qu’on pourrait aller vers une privatisation de ce type de services publics ?
Je n’ai aucun doute. D’ici une petite dizaine d’années, les compagnies d’assurance proposeront ces polices d’assurance, avec des pompiers qui auront pour seul charge de protéger votre habitation.