Cela ne vous a pas échappé avec la nomination du gouvernement d’Elisabeth Borne : l’apparition pour la première fois du concept de « souveraineté alimentaire » dans le portefeuille du nouveau ministre de l’agriculture Marc Fesneau, une mention saluée par les ONG, chercheurs et syndicats agricoles.
Les ruptures d’approvisionnement pour alimenter le bétail inquiètent
La souveraineté agricole est au cœur des revendications politiques de la Confédération paysanne. Son porte-parole Nicolas Girod juge que « c’est un bon signal. Selon sa définition, c’est le droit des peuples à établir leur politique agricole et alimentaire sans dumping vis-à-vis des pays tiers ». Mais le problème est que le concept actuel de souveraineté alimentaire s’est bien éloigné de sa définition d’origine, remarque Pierre-Marie Aubert, chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) : « depuis la crise du Covid, et encore plus avec la crise ukrainienne, [le terme] désigne une question productive : est-ce qu’on produit assez par rapport à la demande ? ». Ces crises menacent surtout la sécurité alimentaire des animaux plutôt que celle des humains souligne le chercheur : « le pois, le soja, un peu de tournesol sont importés en partie d’Ukraine, pour beaucoup des Etats-Unis et du Brésil, parfois issus de la déforestation. Ce qui a fait peur, ce sont ces ruptures d’approvisionnement pour alimenter le bétail avec des systèmes d’élevages de moins en moins résilients car de plus en plus dépendants de l’achat d’aliments à l’extérieur de la ferme ».
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Comme un château de cartes qui s’écroule avec ces crises, les prix des matières premières flambent comme par exemple le cours du blé. La crainte de perte de souveraineté est réelle aussi du côté des engrais. Nicolas Broutin est le président de la branche française Yara, le premier producteur mondial d’engrais minéraux. « Rien n’est gagné en termes de sécurité alimentaire. La bascule d’une ère d’abondance à une ère de rareté est extrêmement rapide. Notre système est fragile : il faut pouvoir le soutenir, faire en sorte que l’on puisse faire face non seulement à des difficultés en lien avec la guerre en Ukraine mais aussi à une loi très simple qui est la loi de la nature, on l’a constaté ces derniers jours en France avec cette sécheresse ».
Nous vivons la troisième crise des prix alimentaires en moins de 13 ans au niveau international
Mais attention à ne pas sacrifier l’environnement au profit du dogme de « produire plus » prévient Valentin Brochard, chargé de plaidoyer souveraineté alimentaire pour l’organisation CCFD Terre Solidaire : « en termes de souveraineté alimentaire on a quand même eu tout le recul sur les normes sociales et environnementales de la nouvelle Politique Agricole Commune, qui est très problématique car elle visait à diversifier les productions. On est à la troisième crise des prix alimentaires en moins de 13 ans au niveau international. Résultat, ça fait 6 ans que les chiffres de la faim augmentent année après année ». Ecologie et souveraineté alimentaire ne sont pas contradictoires : au contraire, ils sont interdépendants, selon Nicolas Bricas du Centre de recherche agronomique pour le développement : « on a absolument besoin de changer de système pour garantir une capacité de production, à moyen et à long terme. Si on ne le fait pas, on a vraiment des risques de crise de production agricole du fait d’avoir tué les sols et anéanti la biodiversité. Tout cet écosystème-là aujourd’hui est en souffrance et risque de menacer purement et simplement la capacité de production de demain ». Crise climatique planétaire, guerre en Ukraine et flambée des matières premières, sécheresse en France, réforme de la PAC en Europe : autant de dossiers brûlants notamment portés par le ministre de l’Agriculture.
Laurie-Anne Toulemont