Moussorgski, amoureux passionné du peuple russe, se montre lucide et pessimiste à la fois quant à l’évolution de la société de russe à la fin du XIXe siècle. Il livre une œuvre d’une prodigieuse inventivité. Sans être dépendant d’un quelconque courant esthétique – quand bien même il fit partie du Groupe des Cinq – le musicien vécut dans la lumière de sa devise : « l’art est le moyen pour un dialogue avec les humains, mais non une fin en soi ».
Modeste Moussorgski en 10 dates :
- 1839 : Naissance à Karevo, province de Pskov
- 1852 : Entrée à l’école des élèves-officiers
- 1859 : Apprentissage auprès de Balakirev
- 1867 : Version originale de La Nuit sur le Mont Chauve
- 1868 : Début de la composition de Boris Godounov
- 1872 : Création de Boris Godounov au Théâtre Mariinski
- 1873 : Début de la composition de La Khovantchina
- 1874 : Les Tableaux d’une exposition
- 1877 : Achèvement des Chants et danses de la mort
- 1881 : Mort Saint-Pétersbourg
D’ascendance noble, le jeune Moussorgski tente de vivre de sa musique. Un long périple qui le conduira au cœur de l’âme du peuple russe
Moussorgski naît dans une riche famille de propriétaires terriens. Sa mère, bonne pianiste, lui enseigne la musique. Doué pour le piano, l’enfant interprète à neuf ans un concerto de John Field. En 1852, il intègre l’école des élèves-officiers. Il poursuit toutefois l’étude du piano auprès d’Anton Herke et sa première composition Porte-enseigne Polka est publiée. Nommé officier en 1856, il rencontre par hasard un jeune médecin dans un hôpital de l’armée : le futur compositeur Alexandre Borodine.
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L’année suivante, il fait la connaissance de Mily Balakirev et de César Cui. Ils sont les premiers membres du futur Groupe des Cinq. Toujours en 1857, il compose sa première mélodie, Où es-tu petite étoile ? Le style est déjà très personnel. A partir de 1859 et pendant une dizaine d’années, Moussorgski poursuit son apprentissage auprès de Balakirev qui est tout à la fois son confident, son mentor et son professeur. Il est un remarquable pianiste et chanteur. Il n’en fait pourtant pas carrière, et se consacre exclusivement à la composition. Des mélodies tout d’abord, puis un Scherzo pour orchestre en 1860, côtoient des miniatures pour le piano. La parution en 1863 du roman Salammbô de Flaubert enthousiaste Moussorgski. Il se lance dans la composition d’un opéra avant de l’abandonner en 1866.
La Nuit sur le Mont Chauve et les autres oeuvres de Moussorgski, lui font oublier la précarité
Proche des idées socialistes de l’époque, Moussorgski vit quelque temps dans un appartement collectif qui accueille artistes et intellectuels. Pour ce fils de la noblesse ruinée par l’abolition du servage, il est vital de trouver un emploi stable. En 1863, il devient fonctionnaire à la Maison des ingénieurs. Il gardera ce statut durant cinq ans. Par la suite, il est employé au Département des forêts au Ministère de la propriété d’Etat.
Ses problèmes financiers momentanément réglés, il concentre toute son énergie à l’écriture musicale. De nature imprévisible, il se passionne pour tel ou tel écrit dont il saisit la force expressive. Il compose d’après les intonations des phrases en russe, transposant la phonétique des mots en notes. En vérité, il ne cherche pas la beauté, mais une forme de vérité ou, du moins, de sincérité. Cela explique aussi son extrême sensibilité aux textes qui évoquent la condition sociale des gens humbles.
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1867 marque un tournant dans l’écriture de Moussorgski. En effet, il compose la première version d’une Nuit sur le Mont Chauve dont le titre original est La Nuit de la Saint-Jean. Il s’agit de l’un des premiers poèmes symphoniques de la musique russe. Les hardiesses harmoniques de la partition choquent ses amis musiciens, si bien que Rimski-Korsakov réorchestrera la partition en 1886. C’est cette version que l’on entend généralement aujourd’hui. D’autres pièces moins célèbres datent également de 1867 comme La Défaite de Sénnacherib et, l’année suivante, la comédie Le Mariage d’après Gogol, une partition inachevée.
Boris Godounov est l’œuvre majeure de Moussorgski mais aussi un repère dans la musique russe
Moussorgski se lance dans l’écriture d’un nouvel opéra d’après le drame de Pouchkine. Dans Boris Godounov, le peuple est le véritable héros dressé face à la solitude du puissant. L’œuvre se révèle d’une lucidité prodigieuse, prémonitoire quant à la décomposition de la société russe, miroir sonore des Possédés de Dostoïevski. La première version de Boris Godounov est refusée par le comité de lecture des Théâtres impériaux. Sans ballet, sans intrigue amoureuse, l’ouvrage n’a aucune chance d’être représenté…
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Une seconde version est présentée en 1872 et créée deux ans plus tard au Théâtre Mariinski. Le public l’accueille triomphalement. Dans la foulée Moussorgski compose une saynète critique, Raïok, une charge contre des personnalités conservatrices. Puis un cycle de mélodies, Les Enfantines, achevées en 1872. La description de l’univers des enfants y est prodigieuse de justesse.
Boris Godounov, dirigé par Valery Gergiev
Moussorgski poursuit son exploration de l’histoire russe. Il s’enferme dans son monde intérieur.
Après le succès de Boris Godounov, Moussorgski envisage une autre partition tout aussi grandiose : La Khovantchina. Les luttes de l’ancienne Russie féodale annoncent le règne de Pierre Le Grand. Le compositeur entreprend un véritable travail d’historien, compilant les documents afin de traduire les ambiances et les caractères des personnages. Débutée en 1873, la composition reste inachevée lorsque Moussorgski meurt en 1881. Rimski-Korsakov reprend alors la partition piano-chant, la modifie profondément et l’orchestre.
1874 marque aussi l’éloignement progressif du compositeur. D’un caractère difficile, d’une nature pessimiste – en témoigne son nouveau cycle de mélodies Sans soleil – il souffre d’une dépendance sans cesse accrue à l’alcool. De cette même année date l’une des œuvres majeures pour le répertoire du piano : Les Tableaux d’une exposition. Moussorgski est encore sous le choc de l’annonce de la disparition de son ami, le peintre Victor Hartmann lorsqu’il se lance dans l’écriture de cette œuvre, une suite pour piano inspirée par les dessins et les aquarelles de Hartmann. L’idée d’une Promenade – le thème servira de leitmotiv – assure l’homogénéité du discours. La ritournelle populaire place ainsi l’auditeur au centre du récit. Les amis de Moussorgski sont effrayés par la rudesse de l’écriture qui heurte leurs règles musicales. « L’univers des sons est sans limites. C’est le cerveau qui est limité…» leur répond Moussorgski.
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La maladie rythme les ultimes chefs-d’œuvre d’un musicien dorénavant seul
Entre 1875 et 1877, le compositeur offre à la postérité quatre nouvelles mélodies réunies dans le recueil Chants et danses de la mort. L’agonie d’un enfant, la mort d’une jeune fille puis d’un paysan ivre et une scène de bataille composent une fresque terrifiante. En parallèle à cet ouvrage, Moussorgski songe à un opéra-comique d’après Gogol : La Foire de Sorotchintsy. Le folklore ukrainien pose les fondations de la nouvelle partition. Une fois encore, il a compilé une quantité impressionnante de mélodies issues du folklore.
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Le temps passe, les crises d’éthylisme se rapprochent et les œuvres en chantier ne progressent guère d’autant plus que Moussorgski se produit régulièrement en tant que pianiste et accompagnateur de la cantatrice Daria Leonova. Malgré le soutien d’amis qui lui versent une rente, il est bien seul, sans aide pour lui éviter ses excès. Sa dernière pièce pour piano, Une larme est un nocturne à l’expression dépouillée, écrite en 1880.
Au début de l’année 1881, Moussorgski est hospitalisé. Il meurt le 16 mars. On raconte avoir trouvé sur sa table de chevet le Traité d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz…
Stéphane Friédérich