ARMSTRONG Louis

(1901-1971) Trompettiste

Avec Louis Armstrong naît l’ère du soliste jazz. On pourrait même dire : l’ère du jazz tout court. Ses improvisations révolutionnaires et son utilisation atypique de la trompette ont grandement étoffé les premières heures balbutiantes du jazz. Précurseur du swing, virtuose et bête de scène, « Satchmo » est l’un des musiciens les plus importants du 20ème siècle.

Louis Armstrong en 10 dates:

  • 1901 : Naissance à la Nouvelle-Orléans (Louisiane)
  • 1922 : Rejoint le Creole Jazz Band de King Oliver à Chicago comme deuxième cornettiste
  • 1925 : Création du Hot Five à Chicago, enregistrement de Gut Bucket Blues
  • 1927 : Création du Hot Seven, enregistrement de Potato Head Blues et Wild Man Blues
  • 1935 : Blessure grave aux lèvres après plusieurs tournées
  • 1946 : Création de Louis Armstrong and His All Stars
  • 1956 : Tournée en Afrique au sein des Jazz Ambassadors
  • 1957 : Premier album avec Ella Fitzgerald
  • 1964 : Hello Dolly !, son plus grand succès commercial
  • 1971 : Décès à New York

A 22 ans, Louis Armstrong bouleverse les codes primitifs du jazz néo-orléanais

Son enfance ressemble à celle des familles noires au tournant du 20ème siècle. Louis Armstrong naît à la Nouvelle-Orléans, berceau du jazz où les quartiers les plus pauvres sont de vastes champs de boue. Son quartier, miné par la criminalité et le trafic, porte le charmant nom de Battlefield – le champ de bataille. Paradoxalement, c’est un passage en maison de correction à ses 12 ans – pour avoir tiré un coup de feu – qui va le confirmer dans sa vocation de musicien. Un des surveillants lui enseigne le cornet à piston, l’ancêtre de la trompette. Il enchaîne ensuite les petits boulots – vendeurs de journaux, ouvrier, chanteur de rue – et se produit dans des scènes de la ville. Une hyperactivité qui va payer : à 18 ans, Louis intègre l’ensemble de Kid Ory, fringant tromboniste de la ville. En 1922, le fameux trompettiste King Oliver l’invite à Chicago à rejoindre son Creole Jazz Band. Le jazz se développe brusquement dans les années 20 et le groupe de « King » est la référence du dixieland : le jazz façon Nouvelle-Orléans, un art de fanfare aux sonorités bruyantes. Avec une section rythmique, trois vents jouent ensemble quasiment sans interruption, avec quelques improvisations maladroites. Mais le jeune cornettiste va venir bousculer les codes primitifs du dixieland. Son jeu, plus aigu que la normale, marque les esprits : « une attaque tranchante, un vibrato brulant, et une sonorité radieuse. Cette sonorité est un monde », contemple Lucien Malson dans les Maîtres du Jazz (Buchet-Chastel). Ses improvisations sont nettes, aériennes et impressionnantes par leurs placements rythmiques. Alors que King et les autres improvisent des mélodies complexes au rythme parfois mou, Louis Armstrong réarrange un thème, décale ou supprime quelques notes. Son ingrédient secret : le swing, cet art d’accentuer les temps faibles et de jouer avec le rythme, qui rend ses phrases si accrocheuses. « Il fait un riche ornement d’une loque », poursuit Lucien Malson. « Comme le roi de la légende antique qui transmuait en or tout ce qu’il touchait », Louis Armstrong est un génial paraphraseur et dépasse le King très rapidement.

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C’est au sein du Hot Five, groupe formé par Louis à 24 ans, que celui-ci forge ses premiers succès. Le Hot Five consacre en fait Louis Armstrong comme soliste, où le piano, la clarinette, le trombone et le banjo ne sont presque plus qu’un prétexte pour l’accompagner. On en prend toute la mesure dans Potato Head Blues, enregistré en 1927. Si l’introduction reste fidèle au dixieland, Louis Armstrong – passé entre temps à la trompette – ne cesse d’improviser sur fond d’accords rythmés. L’arrivée du pianiste Earl Hines dans le Hot Seven en 1927 raffermit la puissance des solos d’Armstrong, qui se trouve ainsi un partenaire d’exception : Weather Bird est le premier duo trompette-piano jamais enregistré. « A l’écoute, on a l’impression d’entendre deux grands hommes parler tranquillement entre eux », admire l’écrivain Brian Morton. Avec West End Blues et son intro légendaire ou encore Basin Street Blues, les deux partenaires signent aux yeux de certains critiques les meilleures œuvres du trompettiste. De quoi convaincre le public qu’« il est impossible de jouer quelque chose à la trompette, même moderne, que Louis n’a pas joué »,  comme l’a dit le trompettiste et chef de file du « jazz cool » Miles Davis.

Louis Armstrong est le premier musicien de jazz à apparaître en couverture de Time magazine

Les années 30 sont la consécration pour Armstrong, qui délaisse les petits groupes pour les orchestres et les tournées outre-Atlantique. Il devient le premier acteur noir à apparaître dans un film hollywoodien. Mais sa manière de souffler dans son instrument – ce qu’on appelle le chop –, frénétique et puissante, a un prix. Ses lèvres se détériorent – elles lui valent d’ailleurs plusieurs surnoms, comme Satchmo, « bouche en porte-monnaie » – et il est contraint de poser la trompette pendant plus d’un an. Diminué, il adoptera à son retour un style plus sobre et moins aigu. Qu’importe, l’artiste sait aussi chanter, avec une voix rocailleuse si reconnaissable. Son génie musical se mélange parfaitement à ses performances vocales, comme le prouve Heebies Jeebies en 1926. Lors de la session d’enregistrement, la feuille où étaient écrites ses paroles lui serait tombée des mains. Au lieu d’arrêter, il aurait enchaîné en scat, une improvisation vocale à base d’onomatopées et de syllabes. Le rendu est brillant et contribue à populariser le scat dans le jazz, bien que Louis Armstrong n’en soit pas le créateur.

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Après la Seconde guerre mondiale, Louis Armstrong multiplie les succès commerciaux : trois albums avec Ella Fitzgerald, sa version de Mack the Knife en 1955 et Hello Dolly ! en 1964, un véritable tube qui détrônera même les Beatles du sommet du Billboard Hot 100. Ses apparitions au cinéma, notamment au côté de la chanteuse pop Barbara Streisand, sont aussi très suivies. Un tel rayonnement pousse la Maison Blanche, alors en pleine guerre froide culturelle avec l’URSS, à se rapprocher de l’artiste. Quel meilleur ambassadeur que le jazz, métaphore de la liberté, et que Louis Armstrong, artiste noir incarnation de l’American Dream ? Au côté de Duke Ellington ou Dave Brubeck, Satchmo s’embarque pour le sud de l’Europe en 1956 et se rend même en Afrique. Lors d’une tournée au Congo en 1960, il est baladé dans les rues sur un trône. Cette participation naïve aux desseins du gouvernement américain lui vaudra le surnom péjoratif d’« Oncle Tom ». Réticent à parler de politique, Louis Armstrong surprend lors de la crise de Little Rock en 1957. Alors que 9 enfants afro américains sont refusés d’une école, le trompettiste annule en représailles sa tournée en URSS prévue sous les auspices du gouvernement : « ils peuvent aller en enfer ! », s’emportera-t-il.

Louis Armstrong et Barbara Streisand dans Hello Dolly! sorti en 1964

 

What a Wonderful World, écrite en 1967, ne fut pas si populaire de son vivant

« L’humour, qui fait tant défaut à beaucoup de musiciens, n’a jamais manqué à Armstrong », a lancé un jour le jazzman Sun Ra. C’est un trompettiste aux yeux pétillants que les spectateurs découvrent, toujours prêt à blaguer et à surprendre. Sur scène ou dans ses enregistrements, il interagit avec ses musiciens à voix haute et les encouragent, comme le ferait un master of ceremony dans les concerts hip-hop des années 80. Cette bonne humeur le pousse à des performances improbables. Lors d’un concert à Nice en 1948, il eut l’idée de traduire en français ses chansons. Un journaliste de la revue Présence Africaine se rappelle avec quelle hilarité le chanteur recopiait les mots dans une orthographe bien à lui : « écrabouillé » donnait « ahcrawhbooyeah ». Malgré ce défi, « l’auditoire fut bouleversé par le musicien en même temps que conquis par l’homme ». Bien qu’elle soit aujourd’hui un classique, What a Wonderful World, écrite en 1967, ne fut pas si populaire de son vivant. Louis Armstrong chante un hymne censé apaiser les blessures de la guerre du Vietnam et de la ségrégation raciale. Eloigné des codes jazz, presque rêveur et distant, ce morceau laisse entrevoir la fin de carrière du géant. 4 ans plus tard, Louis Armstrong s’éteindra en laissant derrière lui une gigantesque discographie et une flopée d’artistes – Miles Davis, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, mais aussi les compositeurs Arthur Honegger ou Darius Milhaud – inspirés par son génie.

Clément Kasser

Retrouvez On the Wilde side, l’émission de jazz du pianiste Laurent de Wilde, du lundi au jeudi de 19h à 20h sur Radio Classique

 

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