Inspiré de Goethe, l’opéra Werther de Massenet marque l’apogée du romantisme musical. Le jeune héros et Charlotte vont vivre leur passion à travers une succession d’airs et de duos, tandis que la musique magnifie leurs sentiments, jusqu’au dénouement tragique : la mort de Werther.
Avant Paris, la ville de Vienne a eu la primeur de Werther
Ce n’est pas le moindre des paradoxes, Werther, l’un des fleurons du répertoire lyrique français, a été créé en allemand à Vienne ! C’était le 6 février 1892. La version originale, en français, verra le jour le 27 décembre de la même année, mais à Genève. Le public parisien devra encore patienter trois semaines, jusqu’au 16 janvier 1893, pour enfin découvrir Werther à l’Opéra-Comique. C’est pourtant bien pour cette salle que l’ouvrage a été écrit. Mais son directeur, Léon Carvalho, a semble-t-il été dérouté par l’ouvrage que Massenet est venu lui présenter le 25 mai 1887. « J’espérais que vous m’apporteriez une autre Manon ! Ce sujet est sans intérêt. Il est condamné d’avance ». A ce jugement sans appel de Carvalho, va succéder quelques heures plus tard un dramatique événement condamnant temporairement Werther : l’incendie de l’Opéra-Comique détruit la salle et provoque la mort de 84 personnes. Trois années vont encore s’écouler pendant lesquelles la partition de Werther va dormir dans les tiroirs, jusqu’à ce jour de 1890 où Massenet se rend au Hofoper de Vienne pour la création de Manon. Le succès est immense, et le ténor qui chante le rôle du chevalier des Grieux, Ernest Van Dyck, demande à Massenet de lui offrir Werther. Dans le même temps, le directeur du Hofoper, voulant lui aussi surfer sur le succès de Manon, demande une nouvelle œuvre. Et c’est ainsi que le public viennois est le premier à découvrir les dramatiques amours de Werther et de Charlotte.
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Werther a mis plusieurs années à s’imposer auprès du public
L’accueil est plus réservé que pour Manon, mais suffisamment enthousiaste, pour convaincre Léon Carvalho de mettre enfin l’ouvrage au répertoire de l’Opéra-Comique. « Revenez-nous et rapatriez ce Werther que, musicalement, vous avez fait français » écrit Carvalho à Massenet. Mais la première parisienne ne connaîtra qu’un succès d’estime. Certains mettent en cause le ténor Guillaume Ibos et la contralto Marie Delna, dont les voix n’étaient peut-être pas tout à fait adaptées aux rôles de Werther et de Charlotte. Il faudra attendre la reprise de 1903 avec une nouvelle production, pour que Werther connaisse enfin le succès et devienne aussi populaire que Manon. Werther s’est inspiré du roman de Goethe Les souffrances du jeune Werther, paru avec succès en 1774, et qui va marquer les débuts littéraires du mouvement romantique. Il se raconte que de nombreux jeunes hommes s’habillaient du manteau bleu emblématique de Werther, certains mettant même fin à leur vie à la manière de leur héros. Il se dit aussi que Napoléon, grand admirateur du poète écossais Ossian, était un inconditionnel du roman qu’il aurait lu à sept reprises. Quant à Massenet, c’est en 1880 que lui vient l’idée d’adapter le livre. Alors qu’il termine l’orchestration d’Hérodiade, il écrit à un ami : « Je me repose et je prends de nouvelles forces pour écrire Werther, un drame lyrique en quatre tableaux. Cet ouvrage est destiné à me satisfaire d’abord. ».
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Massenet et ses librettistes placent sur le même plan les deux héros : Werther et Charlotte
Le livret est confié à Paul Milliet, qui vient de terminer Hérodiade. Il travaille sous la supervision de l’éditeur Georges Hartmann. Son rôle dans la rédaction même du livret est marginale, mais il se montre très présent, et demande de nombreuses coupes et aménagements. Des exigences qui, semble-t-il, sont de plus en plus éloignées du roman original. A tel point que Millet fera appel à Edouard Blau pour le seconder. Celui-ci signera aussi le livret d’un autre opéra de Massenet, Le Cid. C’est au début de l’année 1885, après cinq ans de travail, que le livret de Werther est prêt, permettant à Massenet de commencer son travail de composition. Contrairement au Faust de Gounod, ou à Mignon d’Ambroise Thomas, Werther ne s’éloigne guère du roman original, même si Massenet et ses librettistes donnent à Charlotte, déchirée entre sa passion pour Werther et son devoir vis-à-vis de son mari Albert, un rôle plus important qu’elle n’a chez Goethe. La jeune femme est placée sur le même plan musical et psychologique que Werther.
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Une succession d’airs et de duos dans un écrin orchestral somptueux
L’action s’organise autour de poignants duos amoureux, du premier qui marque leur rencontre « Mais vous ne savez rien de moi », jusqu’à l’aveu final et au dénouement tragique « Oui, du jour même où tu parus ». Massenet offre à Charlotte deux airs absolument splendides, celui des Lettres « Je vous écris de ma petite chambre », dans lequel l’héroïne se replonge dans la correspondance de Werther, puis l’air des larmes « Va ! Laisse couler mes larmes », où Charlotte malheureuse, ne peut justement retenir ses pleurs devant sa jeune sœur Sophie. L’émotion est également d’une prodigieuse intensité dans la prière que Charlotte adresse à Dieu, juste avant le retour de Werther, le soir de Noël, « Ah ! Mon courage m’abandonne ! ». Werther va lui aussi exprimer ses sentiments à travers trois grands airs, le plus connu étant sans conteste « Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps ? », quand le héros récite devant Charlotte les vers d’Ossian qu’il avait commencé à traduire avant son départ. L’autre grand air de Werther se situe au début de l’ouvrage, au moment où le jeune homme découvre la maison dans laquelle vit Charlotte « Ô nature, pleine de grâce. » Tout le talent de Massenet a également été de donner à l’orchestre une place prépondérante, magnifiant les passions que chaque personnage exprime tout au long de l’ouvrage. Une grande part du drame est d’ailleurs racontée par l’orchestre à travers plusieurs préludes et interludes qui soulignent l’évolution des sentiments de Charlotte et de Werther.
Air de Werther « Pourquoi me réveiller ? » (Roberto Alagna)
Werther se donne la mort au moment où les frères et sœurs de Charlotte chantent la joie de Noël
L’ouvrage est un dialogue permanent entre les deux héros. D’un côté Charlotte, qui tombe amoureuse dès le moment où elle croise Werther, mais qui refuse cet amour car elle est promise à Albert. De l’autre Werther, qui dès le départ semble comprendre que cet amour est impossible, admettant alors que seule la mort pourra l’en délivrer. Le drame se dénoue dans les deux derniers actes. Werther est de retour le soir de Noël, après un exil demandé par la jeune femme. Les deux amoureux se retrouvent au domicile conjugal d’Albert et de Charlotte. La jeune femme résiste et met en avant une nouvelle fois son devoir d’épouse. Werther ne voyant plus aucun sens à sa vie, décide de se donner la mort avec les pistolets d’Albert. Tandis que Werther agonise, Charlotte lui avoue enfin son amour et lui donne ce baiser tant désiré, alors qu’au loin les jeunes frères et sœurs de Charlotte interprètent le joyeux chant de Noël que leur père leur faisait répéter au début de l’ouvrage, accentuant la tragédie du destin du héros.
Jean-Michel Dhuez