Immortalisé au cinéma par Sydney Pollack, dans l’une des plus belles séquences du film Out of Africa, sur fond de paysages Kenyans, le bouleversant Adagio du Concerto pour clarinette de Mozart nous rappelle à quel point le compositeur avait su magnifier le pouvoir émotionnel d’un instrument qu’il traitait à la façon d’une voix humaine et auquel il confia ses avant derniers soupirs, ceux qui précédèrent le Requiem.
Mozart tombe sous le charme de la clarinette, instrument qui vient de faire son entrée dans l’orchestre de Mannheim
« Vous ne pouvez imaginer la beauté du son de la clarinette ! » écrivit Mozart, en 1778, à son père Léopold, après avoir été ébloui par l’instrument, encore récent, que l’orchestre de Mannheim avait intégré à son pupitre de bois. Aussi décide-t-il d’ajouter ce timbre si moelleux à ses propres pages orchestrales, l’intégrant à l’effectif de ses symphonies dès la 31ème. L’instrument fait également son apparition dans ses opéras et dans certains de ses derniers concertos pour piano, à l’instar du n°23 où le lyrisme de la clarinette se déploie dans l’envoûtant Adagio. Le compositeur choisit, en outre, d’expérimenter de nouvelles combinaisons instrumentales dans le domaine de la musique de chambre. C’est ainsi que naîtront quelques chefs d’œuvre : trois Sérénades pour vents dont la « Gran Partita », le Quintette pour piano et vents, le Trio dit « des quilles » ou encore le célèbre Quintette K. 581, toute première œuvre à associer la clarinette au quatuor à cordes.
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Anton Stadler révèle à Mozart le pouvoir expressif et spirituel de la clarinette
Une rencontre renforça la fascination de Mozart pour la clarinette, dont la facture était alors en pleine mutation, celle d’Anton Stadler, virtuose de l’orchestre de Vienne. Ce dernier, qui jouait du cor de basset, avait fait réaliser à son intention un prototype permettant d’ajouter des notes supplémentaires dans le registre grave : la clarinette de basset. Tout un univers sonore et poétique s’offrit au compositeur à travers cet instrument dont il découvrit le potentiel expressif et la vocalité, allant jusqu’à en faire le reflet de l’âme de personnages de son opéra La clémence de Titus. L’air de Sesto, « Parto, ma tu ben mio » en est l’un des plus beaux exemples. On raconte d’ailleurs qu’Anton Stadler, qui tenait la partie de clarinette de basset lors de la création de l’ouvrage, fut autant acclamé par le public que les chanteurs. Une profonde amitié, d’ordre quasi spirituel, unissait le compositeur et le musicien, tous deux frères de loge. La clarinette se vit ainsi attribuer une dimension ésotérique au point d’incarner l’instrument par excellence de la Franc Maçonnerie, associé à l’ensemble des musiques composées pour les cérémonies de la loge. Dans cet esprit, le concerto deviendra le symbole de cette fraternité universelle que Mozart exprimera juste après dans sa cantate Das Lob des Freundschaft (l’Eloge de l’Amitié).
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La clarinette, dernier confident de Mozart au crépuscule de sa vie
C’est pour l’instrument d’Anton Stadler que Mozart composa quelques-uns de ses chefs d’œuvre dont le Trio K. 498, le Quintette K. 581 et bien sûr le Concerto K. 622 (reprenant, pour son premier mouvement, un allegro écrit en 1787). Ces pages sont d’autant plus poignantes et saisissantes qu’elles datent des dernières années de la vie de Mozart, voire de son crépuscule. Achevé en octobre 1791, deux mois seulement avant la mort du compositeur, le concerto demeure ainsi son ultime œuvre instrumentale, son chant du cygne. Comment ne pas penser, en l’écoutant, aux tourments que ressentait alors un homme épuisé et malade. L’irrésistible Adagio, dont l’ensorcelant thème initial s’élève avec tant de douceur au-dessus des cordes, demeure l’une des pages les plus bouleversantes du compositeur, dans sa simplicité et sa pureté. Les cinéastes l’ont bien compris, à l’instar de Sydney Pollack qui choisit de l’associer aux paysages africains dans une scène devenue culte de Out of Africa. Avant lui, les frères Taviani s’en servirent pour une poignante séquence illustrant la misère de la vie rurale de la Sardaigne des années 1940 et la révolte d’un fils face à son père, dans le film « Padre, Padrone », palme d’or à Cannes en 1977. Mais si les larmes nous viennent à l’écoute de ce concerto, ce ne sont pas, pour autant, celles de la douleur. Car dans cette partition tout est tendresse et volupté.
Extraits du film Out of Africa de Sydney Pollack, avec l’Adagio du Concerto pour clarinette de Mozart
Un concerto dont la force émotionnelle transcende ceux qui le joue.
« C’est la première œuvre que j’ai travaillé et joué sur scène, à l’âge de onze ans. Je réalise aujourd’hui, avec émotion, qu’il s’agissait d’un regard d’enfant sur la musique de Mozart. Ce concerto n’a, depuis, cessé de m’accompagner dans ma vie de musicien, j’ai grandi avec lui. A chaque fois que je l’interprète je traverse des états émotionnels d’une grande profondeur. L’Adagio demeure un moment toujours aussi unique. » nous a confié Raphaël Sévère. Et s‘il l’a déjà joué plus d’une cinquantaine de fois sur scène, le clarinettiste n’a jamais réussi à s’en lasser : « Cette partition est emprunte de lumière et de pureté. J’en perçois toujours la magie et la fraîcheur. La musique est tellement parlante qu’on se laisse porter, dès les premières notes. Il est essentiel de la jouer avec le plus de naturel et de spontanéité. Il faut arriver à oublier la notion de travail lorsqu’on interprète ce concerto ! »
Laure Mezan