Smetana jouissait dans son propre pays d’une extraordinaire notoriété, difficile à imaginer aujourd’hui. Considéré comme le fondateur de la musique symphonique tchèque, il fut également un fervent nationaliste.
Les armes de Smetana restèrent avant tout musicales, et d’une certaine manière beaucoup plus persuasives pour ses compatriotes.
Dans ses opéras en langue tchèque et jusque dans les danses populaires qui irriguent sa musique de chambre, Smetana exalte non pas la fanatique Légion des étudiants, mais les chants guerriers des ancêtres. Ses poèmes symphoniques ont pour nom Richard III, Hakon Jarl, Le Camp de Wallenstein… Chaque nouvelle partition passe pour un événement autant politique que musical : La Fiancée vendue (1866), hymne à la Bohême, suivie de Dalibor (1868), un opéra tragique qui évoque la lutte nationale contre les dominations étrangères passées (à défaut de pouvoir dénoncer plus explicitement l’occupation autrichienne…). Puis c’est au tour de Libuse (1872), deux ans avant la composition d’un cycle purement symphonique et qui va connaître la gloire que l’on sait : Ma Vlast (Ma Patrie). C’est également pour Smetana l’époque des premières alertes de vertiges persistants et d’une surdité qui sera totale et définitive le 20 octobre 1874. Il s’éloigne alors de Prague et se réfugie dans une relative solitude.
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Ma Patrie explore, au travers de six poèmes symphoniques, l’âme romantique du folklore bohémien, la description champêtre d’un peuple qui a pris conscience de son Histoire.
Ma Vlast est le prolongement, dans la forme symphonique, des fresques lyriques; une sorte “d’opéra sans parole” dans lequel les personnages jaillissent des légendes et de l’histoire tchèque. Les monuments, les batailles, les paysages et les personnages fusionnent dans un univers sonore original. Le premier des épisodes est l’arrivée à la forteresse de Vysehrad, suivi par Vlatva. C’est le nom tchèque de La Moldau, dont hélas, le titre en allemand est plus souvent employé. L’œuvre est la pièce la plus célèbre du cycle. Elle se poursuit avec la redoutable Sarka, puis Dans les prés et les bois de Bohême, l’épique Tabor pour se conclure par la légende de la montagne Blanik.
« La Moldau », 1er mouvement de Ma Patrie
Affluent de l’Elbe, La Moldau est plus souvent rivière que fleuve tout au long de ses 434 kilomètres de longueur. Elle demeure au cœur de bien des légendes.
Composée à la fin de l’année 1874, La Moldau revendique fièrement l’empreinte nationale. Voici un cours d’eau aux couleurs de l’Europe centrale. L’onde de cet affluent de l’Elbe serpente les paysages, jaillissant de la petite harmonie pour s’éloigner vers la mer. Les bois de l’orchestre superposent leur chant les uns après les autres. Le sens du mouvement inexorable séduit immédiatement l’auditeur dont l’esprit reste longtemps marqué par le perpetuum mobile de la mélodie. Au gré du courant, nous assistons à une chasse dans les bois, à une noce paysanne au rythme d’une polka, mais également aux ébats de roussalkas, ondines des légendes tchèques, puis aux attentes d’une scène nocturne à la limite du silence. Le tableau n’est déjà plus romantique, mais presque impressionniste.
Au cours de son périple, La Moldau ne cesse d’enfler et l’orchestre s’enrichit de cordes graves et de cuivres qui annoncent les cascades bouillonnantes des gorges rocheuses de Saint-Jean jusqu’à l’arrivée à Prague et le rappel du thème du premier épisode, Vysehrad, comme l’élément unificateur de la partition. Nous quittons alors le fleuve dont la coda évoque l’écho de flots de plus en plus lointains.
Stéphane Friédérich