L’Orchestre Philharmonique de Berlin : la Rolls-Royce des formations symphoniques

Créé en 1882, l’Orchestre Philharmonique de Berlin compte, avec le Philharmonique de Vienne, parmi les orchestres les plus réputés au monde.

Sous la direction d’Arthur Nikisch, chef d’orchestre du Philharmonique pendant vingt-cinq ans, l’orchestre berlinois effectua de nombreuses tournées qui lui valurent sa réputation internationale

La discipline, l’homogénéité et l’élan collectif que dégage le Philharmonique de Berlin reflètent ce qu’a de plus fort la tradition des formations allemandes. L’orchestre doit pourtant son existence à la libre association de musiciens indépendants qui, dès sa fondation en 1882, ont dû fournir un effort considérable pour obtenir cet ensemble parfait : les instrumentistes de l’Orchestre Bilse, l’une des rares formations de concert relativement régulière à Berlin qui jouait dans une brasserie de Charlottenburg, la Bilse Konzerthaus, décident alors de se constituer en orchestre permanent et d’abandonner les programmes à succès de Benjamin Bilse pour se consacrer au grand répertoire symphonique. Ce nouvel Ancien Orchestre trouve rapidement sa place dans la vie musicale berlinoise, en particulier grâce à l’imprésario Hermann Wolff qui sait trouver un grand nombre d’engagements prestigieux à cet excellent ensemble. Il nomme à sa tête le célèbre chef Hans von Bülow, lequel dirige en première mondiale de nombreuses œuvres majeures de la seconde moitié du XIXe siècle. En 1884, Karl Klindworth prend en main la direction de l’orchestre. Plusieurs compositeurs – Richard Strauss, Gustav Mahler, Johannes Brahms, Piotr Tchaïkovsky, Edvard Grieg – se succèdent à la baguette en tant qu’invités. Sous la direction d’Arthur Nikisch, chef d’orchestre du Philharmonique pendant vingt-cinq ans (1897-1922), l’orchestre berlinois effectue de nombreuses tournées qui lui valent sa réputation internationale. Succédant à Nikisch, décédé en 1922, Wilhelm Furtwängler est nommé chef d’orchestre permanent et porte la formation au premier rang mondial. Il demeure à sa tête jusqu’en 1954, à l’exception d’une brève période d’après-guerre, au cours de laquelle il est remplacé par Sergiu Celibidache. Durant l’ère Furtwängler, l’orchestre réalise de nombreux enregistrements parmi les plus importants du XXe siècle. Sa gestique si particulière (un « pantin désarticulé », selon certains) obtenait des musiciens des attaques volontairement floues. Le son comme une émanation, la musique comme une éthique, le chef comme le dépositaire de ce qui se cache sous les notes : telle était la conception très philosophique que Furtwängler avait de son art, qui trouva dans les Berliner un « instrument » à la hauteur de ses aspirations.

 

Herbert von Karajan s’est imposé comme le directeur musical le plus visionnaire que l’orchestre ait connu

A la mort du charismatique Furtwängler en 1954 lui succède l’ambitieux – et non moins charismatique – Herbert von Karajan, nommé chef à vie en 1955. Il restera à la tête de l’orchestre durant trente-quatre ans. On a voulu faire de lui l’anti-Furtwängler mais, comme le souligne Sylvain Fort dans sa biographie (ed. Actes Sud), sa direction à la fois énergique, puissante et d’une redoutable précision, opère en réalité la synthèse de Toscanini et de Furtwängler, même si les dernières années cultiveront un son plein et chaleureux, où le legato règne en majesté. Pionnier (par sa perception du phénomène discographique dont il accompagna l’extraordinaire essor), mais aussi bâtisseur (la Philharmonie de Berlin, en 1963), Herbert von Karajan s’est imposé comme le directeur musical le plus visionnaire que l’orchestre ait connu, à telle enseigne que le couple Berlin-Karajan semble aujourd’hui indissociable.

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Le Milanais Claudio Abbado prend sa suite en 1989 (au grand dam d’un Lorin Maazel et d’un Riccardo Muti), ouvrant plus largement les programmes à la création contemporaine. Une politique que son successeur, Sir Simon Rattle (2002-2018), n’aura de cesse d’approfondir. Sous sa direction, l’orchestre n’est plus dépendant d’une quelconque tutelle gouvernementale mais d’une fondation. En outre, les musiciens déterminent eux-mêmes les programmes, les lieux, les projets. C’est le 22 juin 2015 que les musiciens de l’orchestre officialisent la nomination de Kirill Petrenko, qui entre en fonction le 23 août 2019.

 


Herbert von Karajan dirige le Philharmonique de Berlin dans le Premier mouvement de la Cinquième Symphonie de Beethoven

 

La puissance des tutti, la faculté d’accélération et l’implication sans faille des musiciens font des Berliner Philharmoniker la plus virtuose des phalanges symphoniques

Si la personnalité du chef agit directement sur l’esthétique sonore de l’orchestre, quelques constantes demeurent. Ainsi de la puissance avec laquelle joue le pupitre des contrebasses, ce qui amena Sergiu Celibidache à comparer le Philharmonique de Berlin à un « concerto pour contrebasse » ! L’homogénéité et la discipline d’ensemble contribuent à façonner ce fondu collectif, fruit d’une fusion et d’un relais serré entre les différents pupitres. La puissance des tutti, la faculté d’accélération des cordes, l’implication et la virtuosité sans faille des musiciens font des Berliner la plus virtuose des phalanges symphoniques, sans doute aussi grisante à entendre… qu’à diriger : avoir sous sa baguette le Philharmonique de Berlin est un rêve que tout chef caresse au moins une fois dans sa vie.

 

Jérémie Bigorie

 

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