Il y a eu un coup de théâtre hier à l’assemblée générale des actionnaires du groupe Stellantis : la rémunération de ses dirigeants a été rejetée ! On le sentait un peu venir après la publication d’un rapport du cabinet Phitrust. C’est une société de conseil en investissement, qui prend elle-même des actions dans des groupes, pour être ainsi invitée aux assemblées générales d’actionnaires et recevoir toutes les informations financières.
Carlos Ghosn : Sa rémunération de 15 millions d’euros avait été critiquée
Phitrust a lancé une bombe, il y a deux jours, en affirmant que le patron, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, toucherait 66 millions d’euros de rémunération. Un montant qui semble astronomique, voire inouï, quand on le compare aux 15 millions, à l’époque, d’un Carlos Ghosn, pourtant déjà critiqué pour sa rémunération auto-attribuée. 66 millions d’euros, le calcul est sans doute un peu généreux, on est plus proche des 19 millions, mais le cabinet Phitrust englobe des actions gratuites et des rémunérations qui ne seront débloquées que dans plusieurs années, si les performances et le cours de bourse continuent de monter.
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Alors que s’est-il passé hier ? La séance avait beau se tenir en visio-conférence, et non pas dans une salle de congrès comme c’est souvent le cas, la tension crevait les yeux. Et au moment où John Elkann, le président du conseil d’administration de Stellantis, a donné les résultats des différentes résolutions soumises au vote des actionnaires, il a tenté de justifier ses choix. Il venait d’annoncer que le non l’avait emporté à 52% des voix, un rejet, donc, de la politique de rémunération des dirigeants, mais il a aussitôt précisé ceci : « La méritocratie est dans les valeurs de Stellantis, et comme nous l’avons dit, nous allons payer pour les performances ». Alors qu’en est-il des performances ? Là on est obligé de reconnaître qu’elles sont faramineuses, il n’y a pas d’autres mot : bénéfice net de 13,4 milliards d’euros pour Stellantis, et ce malgré un contexte cataclysmique pour le marché automobile. Je vous ai raconté ici de nombreuses fois les déboires de cette industrie, en manque cruel de composants électroniques, et qui fait face à un plongeon de la demande. Donc oui, la performance est là, comme le dit John Elkann, il plaide pour la méritocratie, donc, mais visiblement pas pour la démocratie, en tout cas celle qui donne un droit de vote aux actionnaires.
Stellantis a maintenu les rémunérations, malgré l’opposition des actionnaires
Cela montre que les actionnaires s’intéressent de plus en plus aux questions de gouvernance et d’éthique. Oui ce sont les critères ESG, de plus en plus connus même du grand public, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Les petits actionnaires s’interrogent sur certaines rémunérations et il faut pouvoir les justifier, en l’occurrence Stellantis a manqué au minimum de pédagogie, c’est clair avec le résultat du vote. Mais oui, la pression des actionnaires se fait plus forte. Dans cette affaire, elle n’a pas de conséquence, car le conseil d’administration a choisi de s’assoir sur ce vote. La législation des Pays-Bas, où est basé le groupe, le lui autorise, contrairement à ce qui se fait en France depuis la loi Sapin 2. Ce choix de John Elkann pourrait tout de même en vexer plus d’un. En pleine campagne présidentielle, l’affaire a fait réagir.
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« C’est choquant » a dit Marine Le Pen. « C’est excessif » a réagi le ministre et soutien d’Emmanuel Macron, Bruno Le Maire. D’autres entreprises sont sous le regard sourcilleux de certains investisseurs. TotalEnergies, par exemple. Un groupe d’actionnaires du pétrolier français a déposé une résolution en vue de l’assemblée générale pour que TotalEnergies fixe et publie des objectifs cohérents avec l’accord de Paris sur le climat. Pour en revenir à l’affaire Stellantis, on note que Bpifrance a voté contre mais n’a que 6% du capital. On peut donc se demander ce que fait Bpi au capital de Stellantis, si avec 6%, il ne pèse pas sur les décisions. On se demande aussi au passage, pourquoi un groupe qui possède des marques françaises (Peugeot, Citroën, DS), italiennes (Fiat, Alfa Romeo, Maserati), allemandes (Opel), et même américaines (Jeep, Chrysler) est basé aux Pays-Bas ? On a une petite idée de la réponse.
François Geffrier
Ecoutez François Geffrier (à partir de 5′) :